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Interview

Episode de chaleur : «Cette année en France, on n’est pas encore sortis de l’été»

L’Hexagone s’apprête à vivre une deuxième période de chaleur exceptionnelle pour octobre, à partir de ce week-end. Christine Berne, climatologue à Météo France, explique que la hausse de la fréquence de ces épisodes automnaux peut avoir des conséquences sérieuses.
A partir de ce week-end et au moins jusqu’à mercredi, les températures vont à nouveau décoller en France et localement franchir les 30 °C, selon Météo France. (Arnaud Finistre/AFP)
publié le 5 octobre 2023 à 19h43

Après une canicule tardive fin août et un mois de septembre bouillant, octobre débute avec deux épisodes de chaleur rapprochés. A partir de ce week-end et au moins jusqu’à mercredi, les températures vont à nouveau décoller en France et localement franchir les 30 °C, selon Météo France. Christine Berne, climatologue de l’organisme météorologique national, souligne que ce phénomène de chaleurs tardives s’accentue depuis 2010 et qu’il est caractéristique du changement climatique, qui étale la saison estivale. Avec notamment le risque de prolonger les sécheresses.

Après un premier épisode de chaleur tardive durant les premiers jours d’octobre, une autre série de journées anormalement chaudes arrive, à quoi doit-on s’attendre ?

C’est globalement une période trop chaude pour la saison. Le 1er octobre, les températures étaient environ 10 °C au-dessus des normales sur un large quart sud-ouest tandis que sur la partie nord, c’était 7 à 8 °C. Les anomalies prévues pour les prochains jours seront à peu près du même acabit. On s’attend encore à voir des valeurs assez exceptionnelles ce week-end. Cependant, il y aura une grande amplitude dans la journée. Les températures de l’après-midi seront dans l’excès mais les minimales la nuit resteront normales. L’an dernier, il y a eu une période de refroidissement avant le retour de la chaleur en octobre. Cette année, on n’est pas encore sortis de l’été.

Ces deux épisodes de chaleur tardive début octobre sont-ils symptomatiques du changement climatique ?

Tout n’est pas dû au réchauffement climatique mais, sans lui, le niveau des températures serait un cran en dessous. L’automne devient plus chaud, ce qui est aussi le cas des autres saisons. L’atmosphère est en surchauffe, donc dès que des masses d’air en provenance du Sahara arrivent chez nous, elles sont plus chaudes qu’il y a trente ans. Dès début septembre, les températures ont été très atypiques pendant neuf jours, on a frôlé les caractéristiques d’une vague de chaleur estivale [quand la température moyenne à l’échelle nationale dépasse pendant au moins trois journées consécutives 23,4 °C en atteignant au moins 25,3 °C pendant un jour, ndlr]. Cela aurait été inédit pour cette période de l’année. Et la tendance se poursuit : pour ce mois d’octobre, après un premier épisode de chaleur tardive, la France va à nouveau subir de fortes températures par rapport à la saison. La fréquence de ces épisodes tardifs en septembre et octobre augmente. Ces six dernières années, on a eu cet effet lié au changement climatique tous les ans, hormis en 2021. En 2022, on avait eu un premier pic en septembre, puis deux épisodes en octobre. Avant, il y avait eu septembre 2020, septembre 2019, septembre 2018…

Cela illustre bien l’étalement de la saison estivale ?

Cette année particulièrement. On remarque cet étalement vers l’automne à partir de 1980, ce qui était extrêmement rare avant cette date. Depuis les années 2010, c’est plus systématique, avec parfois plusieurs épisodes tardifs à l’automne. Septembre fait partie de l’automne météorologique, mais dans l’esprit des Français, il est en train de devenir un mois qui fait partie de l’été.

Cela correspond aux projections faites par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat : la période chaude s’étale vers le printemps et l’automne. D’ores et déjà on le mesure et le constate à Météo France. Pour le moment, cela s’étend surtout vers l’automne en France car l’atmosphère reste très chaude après l’été et met plus de temps à redescendre à un niveau normal. Les printemps sont aussi plus chauds avec des épisodes plus précoces, mais c’est moins fréquent et visible.

Et à l’avenir ?

Tout dépend de notre réaction. Au-delà de 2030, si nous conservons le même rythme d’émission de gaz à effet de serre, on s’attend à ce que ça s’amplifie, les vagues de chaleur vont s’étendre au fil des saisons, avec de grosses incidences sur les sécheresses et les incendies. On s’en est sortis cette année mais c’est un gros point de vigilance.

Le beau temps en automne, ça a un côté agréable, mais ça peut aussi être un problème…

Oui, même si nous avons du mal à l’appréhender dans notre vie quotidienne. Cela a des conséquences sur le cycle de la nature, qui est chamboulée. En ce moment, les végétaux se croient au printemps, ils commencent à fleurir alors que ce n’est pas le moment. Il peut même y avoir des conséquences sanitaires pour les humains, car les moustiques persistent davantage alors qu’ils peuvent transporter des virus. L’agriculture peut être touchée, les habitats se fissurent, les glaciers continuent à fondre de plus en plus tard dans l’année et n’arrivent plus à se reconstituer…

L’épisode de chaleur que l’on attend risque-t-il aussi d’accentuer la sécheresse ?

Le corollaire est le manque de pluie, et le mois de septembre a déjà été largement déficitaire. L’humidité des sols superficiels commence actuellement à plonger à cause du manque de précipitations et des températures élevées. Le pourtour méditerranéen et le Nord-Est sont secs mais ce n’est pas encore généralisé à l’ensemble du pays. Les premières pluies de l’automne ont un rôle important car elles satisfont les besoins des végétaux à la sortie de l’été. Puis elles s’infiltrent jusque dans les nappes phréatiques.

Vous craignez des répercussions sur ces nappes ?

En effet, la chaleur tardive retarde et réduit la période de recharge de ces réserves indispensables. Il ne faut pas que l’été «déborde» trop. Actuellement, des régions ont un très fort déficit d’eau dans leurs nappes. C’est un gros sujet d’inquiétude par rapport à la ressource en eau, car la situation se dégrade de manière importante ces dernières années en termes de sécheresse. On croise les doigts pour qu’au mois d’octobre on retrouve des couleurs automnales et les précipitations dont nous avons besoin.