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Libération
De l'eau, de l'eau par pitié

Epopée d’un assoiffé sous la canicule : en quête d’une rasade d’eau potable dans les établissements ouverts au public de Paris

Selon une enquête menée par l’UFC-Que choisir publiée ce jeudi 19 juin, seule la moitié des lieux publics en France disposent d’une fontaine alors qu’ils en ont l’obligation depuis janvier 2022.
Pour mener l’enquête, 80 bénévoles issus de l’UFC-Que Choisir, alliés à l’association No Plastic in My Sea, ont visité 247 ERP répartis largement sur le territoire, entre mars et mai 2025. (Antoine Boureau/Hans Lucas.AFP)
publié le 19 juin 2025 à 19h42

Le soleil a atteint son zénith, le mercure pointe à une trentaine de degrés et des effluves de chaleur frappent de plein fouet les rues bétonnées de Paris. Pas de doute, la canicule pointe le bout de son nez. Pourtant, selon une enquête menée par l’UFC-Que choisir publiée ce jeudi 19 juin, seulement 52 % des établissements recevant du public (ERP) dans tout le pays, à savoir des musées, hôtels, lieux de culte, gares ou centres commerciaux, disposent de points d’eau potable. Un nombre bien trop faible si l’on s’en tient à la loi Agec (antigaspillage pour une économie circulaire) de janvier 2022, qui obligeait les ERP à les installer, et à clairement les indiquer.

Pour mener l’enquête, 80 bénévoles issus de l’UFC-Que choisir, alliés à l’association No Plastic in My Sea, ont visité 247 établissements, répartis largement sur le territoire, entre mars et mai 2025. Ils ont ainsi vérifié la présence d’un point d’eau, la signalétique, et la possibilité effective de remplir une gourde. Dans leur sillage, Libération a fait de même à Paris.

Les espaces culturels restent les mieux équipés

Dans les locaux de la Bibliothèque nationale de France, dans le XIIIe arrondissement de Paris, la climatisation permet de rafraîchir l’édifice et par la même occasion les centaines d’étudiants qui s’entassent à mesure que les partiels s’enchaînent. A seulement quelques mètres de l’entrée est érigée sur la moquette ocre une fontaine à eau parfaitement fonctionnelle. Problème : aucune signalétique pour la repérer. Cachée à côté des toilettes, elle est difficile à repérer sans scruter de fond en comble la salle ou bien, comme on l’a fait, sans poser gentiment la question à l’accueil. N’en demandons pas trop, notre gourde se remplit et se vide aussitôt, chaleur oblige.

Selon l’enquête de l’UFC-Que choisir, les espaces culturels restent en effet les ERP les mieux équipés. A l’inverse, le taux d’équipement des centres commerciaux est qualifié de «point noir», avec 45 %. Pour preuve, à la Samaritaine, ce grand magasin du Ier arrondissement parisien, impossible à première vue de s’abreuver. On demande donc l’information, entre les allées truffées de produits de luxe, aux deux concierges présents à l’accueil. Le premier, interloqué, regarde son collègue : «Euh… on a des fontaines à eaux ici ?» Le second, dubitatif : «Peut-être au -1, au fond à droite.» Direction l’étage cosmétique. On suit le chemin indiqué… pour tomber nez à nez avec un salon de coiffure éphémère. Des parfums Chanel, des rouges à lèvres Prada, mais aucun point d’eau en vue. Pas d’autre choix que de se consoler avec l’eau (chaude) des toilettes.

En revanche, toujours selon l’enquête de l’UFC-Que choisir, les gares SNCF sont de leur côté sur la pente ascendante. Des progrès ont été observés, même si elles restent «largement sous-équipées». Direction la gare de Lyon, donc. Devant le parvis en travaux, noyé de taxis aussi bien que de vélos, la sueur perle sur les fronts, et chacun guette le moindre coin d’ombre. A l’intérieur, on confond plusieurs points de gel hydroalcoolique avec des fontaines à eau. Premier réflexe : se tourner vers l’eau embouteillée de la boulangerie d’à côté. A 4,40 euros les 50 cl, on repassera. D’autant que la loi Agec de 2022 prévoyait justement de diminuer grâce aux points d’eau la consommation de plastiques à usage unique. Au-delà du pouvoir d’achat, c’est donc notre conscience écologique qui se réveille et qui rappelle que cela fera une bouteille de plastique en moins sur les 15 milliards qui sont mises sur le marché français chaque année.

Après plusieurs allées et venues entre les différents halls de la gare, esquivant les voyageurs accablés qui traînent des pieds, on atterrit au bout d’un gros quart d’heure devant une fontaine, difficilement reconnaissable. Problème : elle fonctionne une fois sur deux et notre gourde ne se remplit qu’à moitié. Au même moment, une annonce de la SNCF nous conseille ironiquement de rester hydratés.

Seuls 9 % des établissements visités respectent la loi

Quand ils existent, les points d’eau restent peu visibles et mal signalés. Sur les 128 points d’eau visités par l’UFC-Que choisir, seuls 22 établissements, soit 9 % du total de l’échantillon, ont mis en place une signalétique directionnelle, obligatoire selon la loi.

Pourtant, le potentiel est là. Pendant les Jeux olympiques de Paris, la combinaison de fontaines bien visibles, d’une signalétique conforme et d’une campagne d’information efficace a «permis de diviser par trois l’usage de bouteilles plastiques par rapport aux Jeux de Londres», rapporte l’UFC-Que choisir.

En fin de journée, la gorge est asséchée, la salive épaisse et le dos trempé. On décide de retourner devant le parvis de l’hôtel de ville, l’une des fanzones les plus prisées des Jeux. A l’époque, des fontaines à eau fleurissaient de part et d’autre du lieu. Des mois plus tard, toujours autant de touristes s’y amassent mais aucune trace d’eau à l’horizon. Cette fois-ci, notre gourde restera vide.