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Prévisions

Face à Météo France, des concurrents comme s’il en pleuvait

De plus en plus d’applis de prévision viennent faire de l’ombre à Météo France sur son propre terrain. Un marché juteux que visent aussi les Gafam, aidées par l’intelligence artificielle.
Une station Météo France, à Avant-lès-Ramerupt, dans l'Aube. (l.vidal/Andbz. Abaca)
par Liza Cossard
publié le 18 mars 2024 à 20h55

Il y a ceux qui ne jurent que par le site météo norvégien yr.no, qui aurait «davantage de satellites». D’autres qui se fient au site allemand Météo & Radar. Des agriculteurs parient sur le suisse MeteoBlue. Et Météo France ? Encore puissante, mais plus incontournable depuis que d’innombrables applis se disputent le marché encombré de la prévision du temps. Même si, en réalité, elles s’appuient toutes sur la même dizaine de modèles numériques.

En 2022, selon une étude de Grand View Research, le marché mondial des services de prévisions météorologiques pesait 2,39 milliards de dollars (environ 2,20 milliards d’euros). En France, selon Médiamétrie, il se partage surtout entre quatre poids lourds, particulièrement consultés en cas de météo extrême. L’appli de Météo France arrive en tête, avec 14,6 millions de visiteurs uniques mensuels en août 2023, au plus fort de la canicule, puis 11 millions en janvier 2024. Viennent ensuite La Chaîne Météo du groupe le Figaro, avec 8,8 millions de visiteurs en août et 7 millions en janvier, puis l’américain Weather Group (avec notamment la marque The Weather Channel), avec 8,7 millions de visiteurs en août et 7 millions en janvier, et enfin l’allemand WetterOnline, dont le site Météo & Radar a séduit 3,5 millions de personnes en août et 3 millions en janvier. La dernière place se disputait entre Météo City (groupe M6, 3,3 millions en août), détrôné en janvier 2024 par l’espagnol Tameteo.

«Ses données sont accessibles»

«Il n’y a plus de monopole [de Météo France], explique le sénateur de l’Union centriste Vincent Capo-Canellas, auteur d’un rapport de la commission des finances sur Météo France en septembre 2021. Ses données sont accessibles donc beaucoup peuvent les réutiliser.» Le marché des applis grand public, financées largement par la publicité, aiguise les appétits. Ainsi La Chaîne Météo, une chaîne d’information continue diffusée sur Canal + et Free, et déclinée en appli, a été rachetée en 2008 par le Figaro. D’autres acteurs étrangers gagnent du terrain en France. Depuis 2014, MeteoGroup, filiale du suisse TBG, fournit les bulletins météo de France 2 et France 3 national. Le suisse Météo News renseigne quant à lui de nombreux groupes de presse français, notamment la Voix du Nord, Centre-France et Ebra. En 2023, Météo France a perdu son partenariat avec la société Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) au profit de Météo Omnium, une PME basque associée au groupe québécois MétéoGlobale.

Comment prévoit-on la météo ? Grâce à des modèles numériques de l’atmosphère, construits à partir d’observations provenant de sources multiples (satellites, radars, stations météo…). Si vous consultez une appli météo, il est très probable qu’elle s‘appuiera sur l’un des cinq modèles les plus importants : le modèle européen ECMWF (Centre européen des prévisions météo à moyen terme ou CEPMMT), fruit d’une coopération de trente-cinq Etats ; le modèle américain GFS, sur lequel s’appuie notamment l’administration américaine de la météo NOAA ; les modèles français Arome et Arpège de Météo France (modèles à mailles fines, mais à court terme) ou encore Icon, celui de l’Institut de météorologie allemand. Les données, fournies par des institutions publiques, sont souvent accessibles gratuitement. Les applis se distinguent par leur ergonomie, la combinaison de modèles, la fréquence de rafraîchissement, etc. Des passionnés en France se servent par exemple des données de Météo France pour des usages locaux, comme Météovergne, qui indique sur son site «fournir des prévisions expertisées à tous les passionnés-pratiquants d’activités extérieures en Auvergne, en considérant l’ensemble des spécificités de nos massifs». L’appli météo intégrée sur les iPhone français repose elle aussi sur le modèle européen.

Concurrence des Gafam

Mais tous risquent de se heurter à la concurrence des Gafam, qui investissent massivement dans ce marché, a averti le sénateur Capo-Canellas, expliquant cette évolution par «la part croissante de l’intelligence artificielle et du traitement massif de données dans le marché de la météorologie». Objectif visé, entre autres, les données personnelles de leurs millions d’utilisateurs. Avec sa branche de recherche sur l’IA, DeepMind, Google a développé une technologie avancée appelée GraphCast, basée sur le modèle européen EMWCF, pour prédire les précipitations à très court terme. En seulement trois semaines d’apprentissage, l’algorithme a été capable de produire en une minute une prévision météorologique pour les dix jours à venir. GraphCast a notamment réussi à prédire avec succès l’endroit précis où l’ouragan Lee devait frapper neuf jours plus tard, alors que les outils météorologiques traditionnels n’avaient rien détecté avant six jours… D’autres intelligences artificielles météo ont été développées par les géants du numérique, comme ClimaX de Microsoft ou Pangu-Weather de Huawei.

Seul monopole conservé par Météo France : la possibilité de décréter un département en vigilance météo. Mais là encore, de nombreux sites tentent d’introduire un flou sur cette notion, en n’hésitant pas par exemple à créer une «carte alerte» qui n’est pas reconnue par l’Etat, selon un prévisionniste de Météo France qui a tenu à garder l’anonymat.