Menu
Libération
Sobriété subie

Hausse du prix des carburants : les missions de la Flotte océanographique française tombent à l’eau

La biodiversitédossier
La flambée du coût du gasoil fait exploser la facture du ravitaillement des bateaux dédiés aux expéditions scientifiques en mer. Plusieurs missions, pourtant cruciales pour le suivi du climat et de la biodiversité, sont annulées ou reportées, en dépit du discours de l’Etat «sur l’importance de l’océan».
Un chercheur de l'Ifremer décharge des coraux collectés lors d'une mission dans l'océan Atlantique, à Brest (Finistère) en août dernier. (Sébastien Salom-Gomis/AFP)
publié le 13 octobre 2022 à 10h50

La recherche scientifique pâtit aussi de la crise des carburants. La hausse des prix depuis le début de la guerre en Ukraine a fait exploser le budget serré des missions océanographiques. Résultats : plusieurs campagnes importantes ont été annulées ou reportées depuis cet été. Et l’année 2023 est incertaine. Les sorties en mer permettent pourtant de réaliser des mesures scientifiques sur le climat, la météo, les courants océaniques, l’acidification des océans, la fonte des calottes, la hausse du niveau des mers ou encore la biodiversité marine. Elles sont donc primordiales pour saisir l’ampleur de la crise environnementale actuelle et anticiper le futur.

En France, tous les scientifiques qui souhaitent partir en mission sur les océans dépendent de la Flotte océanographique française, gérée par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Elle comporte une dizaine de navires dont quatre de haute mer. Mais, pour les faire fonctionner, il faut du gasoil. Ce poste de dépense, de 7 millions d’euros sur un budget total de 87 millions, a plus que doublé. «Cette année on s’en sort en tapant dans la réserve, en annulant et déplaçant quelques missions. Mais pour 2023, il manque entre 7 et 9 millions d’euros, soit 10 % du budget de la flotte pour arriver à assurer ce qui était prévu pour l’année prochaine», déplore Philippe Bousquet, directeur du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). L’Ifremer dit être dans «une impasse budgétaire trop importante pour être soutenable» et espère bénéficier d’une rallonge de la part de l’Etat.

Arbitrage malheureux

Le Covid avait déjà largement retardé les projets en cours. Une scientifique du LSCE attend par exemple depuis 4 ans pour une mission considérée comme «prioritaire», d’abord reportée pour cause de pandémie puis encore cette année dans le contexte de disette énergétique. Son objectif est d’établir le rôle joué par la région amazonienne dans le système climatique de la Terre. Elle doit mobiliser des dizaines de scientifiques et sera normalement reprogrammée en 2023.

L’an prochain, l’Ifremer va limiter la vitesse de ses bateaux pour faire des économies. Mais, si cela n’est pas suffisant, aucune mission non prioritaire ne sera programmée. Et parmi les prioritaires, les plus coûteuses seront encore décalées dans le temps. Un arbitrage malheureux qui pourrait là aussi nuire à des missions ponctuelles de grande envergure, par exemple pour aller forer une carotte dans les sédiments marins afin de mieux connaître les variations du climat passé.

«En tant que directeur de laboratoire, ce qui me navre, c’est que lors du One Ocean Summit à Brest il y a eu un affichage de l’Etat sur l’importance de l’océan, censé être une priorité nationale. Mais on ne sent pas un élan pour soutenir la recherche dans ce sens. Après les promesses d’amour, il nous faut les preuves d’amour», plaide Philippe Bousquet. Il relève «une pression énorme sur la recherche en environnement», mais des finances très limitées qui ne permettent pas de marges de manœuvre. «Aujourd’hui en France, le budget global pour la recherche est structurellement bas, c’est 2,2 % du PIB. L’objectif est d’atteindre 3 %. Cela nous permettrait d’être moins sensibles à la conjoncture», souligne-t-il. Il espère que la prochaine génération de bateaux fonctionnera à l’électrique. Là aussi, l’Etat devra mettre la main à la poche pour financer le renouvellement des engins, qui coûte plusieurs dizaines de millions d’euros.

Dans le Monde, 140 scientifiques ont aussi signé une tribune mardi pour alerter sur «l’augmentation des coûts logistiques» pour la recherche polaire, qui utilise également les bateaux gérés par l’Ifremer. Ils soulignent également la détérioration des stations de recherche installées en Arctique et Antarctique qui, faute de moyens pour les rénover, deviennent des gouffres énergétiques. «Il est impératif et urgent de réinvestir dans les infrastructures et la logistique polaires», concluent-ils.