Précipitations, débit des fleuves, hauteur des nappes… A quel point le changement climatique chamboulera-t-il les ressources en eau d’ici la fin du siècle en métropole ? Dix ans après une première étude nommée Explore 2070, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) dévoile des données actualisées ce vendredi, en partenariat avec d’autres organismes de recherche français. La nouvelle étude, nommée Explore 2, se base pour la première fois sur des modèles climatiques régionaux, à plus petite résolution, et produit ainsi des résultats plus précis que la précédente. Centrée sur l’Hexagone et la Corse et couvrant tout le XXIe siècle, Explore 2 laisse entrevoir un futur davantage soumis aux extrêmes, oscillant entre trop plein et trop peu d’eau selon les saisons et les territoires.
-30% de débit des cours d’eau en été
«Les acteurs du territoire ne pourront pas dire qu’ils n’ont pas la connaissance du changement climatique et de son impact sur les ressources en eau, l’objectif est qu’ils se saisissent des résultats pour bâtir des stratégies d’adaptation», explique à Libération Eric Sauquet, hydrologue à l’Inrae et coordinateur du projet, qui a mobilisé une quarantaine de chercheurs pendant trois ans. Cette étude comporte un volet sur l’accompagnement des acteurs et a été doublée d’un autre projet visant à fournir des outils et guides pour s’adapter localement.
Les conclusions d’Explore 2 se basent sur le scénario le plus pessimiste pour l’avenir, celui avec de fortes émissions mondiales de gaz à effet de serre. «Celui-ci est tout à fait plausible quand on regarde la politique des Etats en matière d’atténuation. Les effets du changement climatique seront d’autant plus sévères que les émissions seront importantes», justifie Eric Sauquet. Ce parti pris permet ainsi de montrer les changements les plus profonds possibles d’ici à la fin du siècle.
Se projeter dans la France de la fin du siècle revient d’abord à étudier le niveau de surchauffe du climat. Dans le scénario de fortes émissions, le pays connaîtra en moyenne sur l’année des températures supérieures de 4 degrés à celles de la période de référence, 1976-2005, lors de laquelle le changement climatique avait déjà débuté. Cela cache des disparités selon les saisons : les étés pourront être jusqu’à 7°C plus chauds et seront moins pluvieux, avec une baisse estimée à 23 % dans le pays, et jusqu’à 30 % en moyenne dans le Sud-Ouest.
Cette modification aura un effet direct sur les cours d’eau à la même période. Sous l’effet combiné d’une évaporation accrue de 25 %, de précipitations moins abondantes et de la diminution du manteau neigeux, le débit moyen estival des rivières (le volume d’eau qui s’écoule) en France sera inférieur de 30 % à celui de la fin du XXe siècle. Avec là aussi des situations possiblement plus marquées localement : «Les baisses les plus sensibles concernent le Sud-Ouest (-50 %), les Alpes (-50 %) et le secteur méditerranéen (-40 %).» Cela pourrait donc mener à encore plus de tensions et de restrictions estivales. Durant l’hiver en revanche, les pluies devraient être 20 % plus abondantes en moyenne sur l’Hexagone, notamment dans le Nord où elles augmenteront de 24 %. Cette tendance humide sera plus «faible, voire incertaine, dans le Sud», précise l’étude.
Ces résultats diffèrent de ceux de la précédente étude, qui entrevoyait un assèchement en toutes saisons. Elle notait par exemple une baisse des débits moyens annuels des cours d’eau de l’ordre de 10 % à 40 % en milieu de siècle, donnée qui a servi de base à l’élaboration du plan eau dévoilé par le gouvernement en mars 2023. Explore 2 ne donne pas de chiffre actualisé sur l’année entière dans le pays, mais note une hausse globale des cumuls de pluie dans le Nord-Est et une baisse dans le Sud-Est ainsi que près des Pyrénées, avec 25 % de perte de débit annuel dans ce secteur ainsi que pour les Alpes du Sud.
Des sécheresses estivales plus fréquentes
Les ressources en eau souterraine ont aussi été examinées. Le niveau des nappes de la Bretagne sera moindre, avec une baisse plus marquée en été, et ce dès le milieu du siècle. A horizon 2100, l’étude note aussi des diminutions des niveaux de nappe en Poitou-Charentes, dans le département du Tarn-et-Garonne et en Alsace. Les nappes sont des systèmes complexes, qui ont leurs particularités locales, ce qui explique que malgré des pluies davantage fournies, certaines devraient cependant être plus basses. Sur le Bassin parisien, la Basse-Normandie, la région Hauts-de-France et le nord du bassin de la Loire, la tendance devrait en revanche être à la hausse.
Enfin, «globalement, le risque de sécheresses va s’accroître dans le futur. La fréquence et l’extension spatiale des sécheresses météorologiques [déficit de pluie, ndlr] va augmenter pendant la période estivale», explique Eric Sauquet. Les sécheresses météo dites «décennales», qui reviennent une fois tous les dix ans, vont ainsi doubler sur le territoire. Et dans le tiers sud, elles seront même trois à cinq fois plus fréquentes. L’absence totale de débit dans les petits cours d’eau va, elle, augmenter de 25 % entre juillet et octobre partout en France. Ces assecs deviendront «plus précoces et plus longs» et sont notamment néfastes pour la biodiversité locale. Concernant le phénomène inverse, les crues, l’étude n’est pas conclusive et des travaux devront être poursuivis. Malgré les nombreuses incertitudes qui subsistent et plusieurs trajectoires possibles, Eric Sauquet invite à «agir» dès maintenant : «La sobriété est une nécessité et le premier levier à mobiliser dans la gestion de l’eau.» Les gestionnaires devront ensuite bâtir des stratégies d’adaptation progressives et assez souples pour pouvoir à la fois faire face à des périodes de sécheresse et de fortes précipitations. Les solutions basées sur la nature ont notamment un potentiel intéressant, car elles s’appuient sur la fonction d’éponge des écosystèmes.