Menu
Libération
Carottes givrées

Huit scientifiques en Arctique forent la glace à la recherche des archives du climat

Des chercheurs, un spécialiste du forage et un guide de montagne se lancent ce mardi dans une course contre la montre pour sauver du réchauffement des siècles de données climatiques. Ils vont faire des carottages pour conserver l’histoire environnementale de la région.
Le site de recherche de la Ice Memory Foundation, au Svalbard, en Norvège. (Riccardo Selvatico/CNR)
publié le 4 avril 2023 à 6h45

Le climat, lui aussi, a un passé. Et celui-ci est gravé dans la glace. Un groupe de chercheurs part ce mardi en expédition dans l’archipel arctique du Svalbard pour tenter de sauver les témoins de plusieurs siècles d’histoire climatique et environnementale. C’est la huitième fois que cette équipe de scientifiques va faire d’énormes carottages dans cette région.

Une véritable course contre la montre. «Les glaciers des hautes latitudes, comme ceux de l’Arctique, ont commencé à fondre à grande vitesse. Nous voulons récupérer et préserver, pour les générations futures de scientifiques, ces extraordinaires archives du climat de notre planète avant que toutes les informations qu’elles contiennent ne soient complètement perdues», explique Carlo Barbante, directeur de l’Institut des sciences polaires du Conseil national de la recherche italien et vice-président de la fondation Ice Memory.

Les huit scientifiques de France, Italie et Norvège, un spécialiste du forage et un guide de montagne rapporteront deux carottes de glace de 125 mètres de long et d’une dizaine de centimètres de diamètre. L’une sera analysée prochainement et l’autre conservée dans l’Antarctique pour les générations futures, à l’issue d’un véritable défi lancé à la logistique des chaînes du froid.

Les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines ont depuis le XIXe siècle réchauffé la planète de 1,1 degré en moyenne. Selon les études, l’Arctique se réchauffe deux à quatre fois plus vite que la moyenne.

Glaciologue, un métier en danger

La communauté des glaciologues «voit sa matière première disparaître pour toujours de la surface de la planète. Notre responsabilité en tant que glaciologues de cette génération, c’est de faire en sorte d’en préserver un petit peu», a déclaré le président d’Ice Memory, Jérôme Chappellaz.

Une étude publiée en janvier dans la prestigieuse revue Science estime que la moitié des 215 000 glaciers sur Terre, notamment les plus petits d’entre eux, sont condamnés à disparaître d’ici la fin du siècle à cause du changement climatique. Toutefois, limiter au maximum le réchauffement de la planète pourrait encore permettre de sauver les autres.

L’équipe du Svalbard a établi son campement à 1 100 mètres d’altitude dans la blancheur sans fin du champ de glace Holtedahlfonna parsemé de périlleuses crevasses et parcouru çà et là par des ours polaires. Par des températures oscillant entre -25 °C et -5 °C, elle travaillera une vingtaine de jours, récoltant patiemment et classant soigneusement de précieux cylindres translucides.

Les tronçons effectueront ensuite un périple en bateau jusqu’à Brest puis par voie terrestre vers les centres scientifiques de Grenoble et Venise. Ceux de la deuxième carotte, destinés à la postérité et porteurs dans leurs strates et bulles d’air de trois cents ans d’histoire du climat, de l’environnement et des pollutions, repartiront dans un second temps par la mer vers la base franco-italienne de Concordia dans l’Antarctique.

Un dépôt pour archiver les carottes du monde

Une grotte de neige a été préparée pour les accueillir en 2024-2025 et les entreposer avec d’autres carottes prélevées à travers le monde, à une température naturelle de -50 °C en moyenne. Les avantages : nul risque d’être victime d’une panne d’électricité, un lieu difficile d’accès et protégé par le Traité sur l’Antarctique de 1959, rendant les dangers d’un conflit ou d’un acte terroriste peu probables, assure la fondation.

Seront-ils détruits à jamais si l’humanité décide à terme de les analyser ? «Notre pari pour l’avenir, c’est que les méthodes d’analyse de la glace seront de plus en plus non destructives», indique Jérôme Chappellaz, évoquant notamment le développement actuel de méthodes optiques. Parmi les prochaines destinations de forage, il cite le Pamir au Tadjikistan et le pic Mera dans l’Himalaya.

Lancée en 2015, l’initiative franco-italienne Ice Memory a déjà prélevé de la glace dans les Alpes, les Andes, le Caucase, l’Altaï et compte le faire en tout sur une vingtaine de sites pendant une vingtaine d’années. La mission Svalbard d’un budget global de 700 000 euros est financée par le ministère italien de l’Université et de la Recherche, les institutions scientifiques participantes et Ice Memory, elle-même financée par le mécénat, précise la fondation.