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Justice environnementale

Inaction climatique : les principales affaires judiciaires dans le monde

Au moment où six jeunes portugais assignent 32 Etats devant la Cour européenne des droits de l’Homme ce mercredi 27 septembre, accusés de ne pas assez limiter leurs émissions polluantes, près de 2 500 affaires similaires sont recensées à travers la planète.
Les frères et sœurs Agostinho, trois des jeunes plaignants portugais, devant des pins brûlés à Leiria, au Portugal, le 17 décembre 2017. (Ana Brigida/AP)
publié le 27 septembre 2023 à 11h16

C’est un procès sans précédent par son ampleur et ses potentielles conséquences. Ce mercredi 27 septembre, six jeunes Portugais, âgés de 11 à 24 ans, assignent 32 Etats devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Ils accusent les 27 Etats de l’Union européenne ainsi que la Russie, la Turquie, la Suisse, la Norvège et le Royaume-Uni de ne pas limiter suffisamment leurs émissions de gaz à effets de serre, qui alimentent le changement climatique et affectent les conditions de la vie sur Terre. Les plaignants espèrent ainsi créer une jurisprudence qui renforcerait la lutte contre le réchauffement de la planète.

Ces six jeunes Portugais, issus de la «génération climat», ont été traumatisés par les incendies qui ont brûlé des dizaines de milliers d’hectares dans le pays en 2017, faisant plus de 100 morts. Une catastrophe qui les a poussés à demander des comptes aux pouvoirs publics. «Les gouvernements européens ne parviennent pas à nous protéger», soutient André Oliveira, 15 ans, l’un des six requérants. Un constat que partagent de nombreux citoyens à travers la planète, qui tentent de plus en plus de passer par la voie judiciaire pour trouver un moyen de lutter contre l’inaction climatique des gouvernements et les politiques polluantes des entreprises.

2 500 affaires dans le monde

Le nombre d’affaires judiciaires liées au climat a doublé entre 2017 et 2022, selon l’ONU-Environnement et les chercheurs du Centre Sabin pour la législation sur le changement climatique de l’université de Columbia. En septembre 2023, cette base de données répertorie plus de 2 500 affaires dans le monde, closes ou en cours. La majorité est recensée aux Etats-Unis, et si les pays en développement représentent une part toujours très minoritaire (135 affaires), elle va grandissante.

Ces contentieux peuvent «avoir un impact sur l’issue et l’ambition de la gouvernance climatique», estiment les experts du Giec dans un rapport de 2022. Les spécialistes du climat de l’ONU affirment qu’«en cas de succès», ces procès peuvent pousser les pays à accroître leurs efforts.

La France condamnée deux fois

L’association Notre affaire à tous, créée en 2015, année de la COP21 et de la signature de l’accord de Paris, élabore le «premier recours climat à portée globale» en décembre 2018. Aux côtés de la Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France et Oxfam France, l’association enjoint à l’Etat français de respecter ses engagements en faveur de l’environnement et du climat.

«L’affaire du siècle» a réussi à faire reconnaître par un juge l’obligation d’agir de l’Etat français dans la lutte contre le changement climatique. Concrètement, le gouvernement français a été condamné en 2021 par le tribunal administratif de Paris pour ne pas avoir tenu ses engagements inscrits dans l’accord de Paris, notamment sa trajectoire de réduction de 40 % des gaz à effet de serre d’ici à 2030 pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. L’Etat avait un an pour prendre des mesures structurelles et redresser sa trajectoire. Les organisations de l’Affaire du Siècle, constatant que ces obligations n’ont toujours pas été respectées en 2023, ont demandé en juin à l’Etat une astreinte financière de 1,1 milliard d’euros pour l’obliger à agir.

Dans une affaire similaire, mais cette fois-ci intentée en 2019 par la ville de Grande-Synthe (Nord), particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique et à la montée du niveau de la mer, le Conseil d’Etat a ordonné en 2023 que le gouvernement prenne de nouvelles mesures pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

Les Pays-Bas contraints de réduire leurs émissions et Shell condamné

L’affaire Urgenda, du nom d’une fondation environnementale néerlandaise, est un procès emblématique dans la lutte contre le réchauffement climatique, intenté en 2013. Six ans plus tard, la Cour suprême des Pays-Bas a finalement ordonné au gouvernement de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % d’ici fin 2020. Ne pas atteindre cet objectif serait une «violation des droits des citoyens néerlandais», protégés par la Convention européenne des droits de l’homme, a conclu la justice. Après cette décision, une loi très ambitieuse a été proposée par de nombreux partis politiques, demandant une réduction de 95 % des émissions de gaz à effet de serre du pays à horizon 2050.

Historiquement, les Pays-Bas recensent l’un des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre les plus élevés par personne. Mais ils figurent aujourd’hui parmi les leaders sur les politiques climatiques européennes.

Les grandes entreprises émettrices de CO2 sont également concernées, et se voient réclamer des compensations et des changements de pratiques. En 2021, la justice néerlandaise a ordonné à la multinationale pétrolière anglo-néerlandaise Shell de réduire ses émissions nettes de CO2 de 45 % d’ici fin 2030 par rapport à 2019. Une première mondiale. Le tribunal de La Haye a ainsi donné raison à Milieudefensie, la branche aux Pays-Bas de l’organisation internationale les Amis de la Terre, qui avait saisi la justice en 2019. Le géant du pétrole a tout de même fait appel.

Certaines procédures visent plus spécifiquement à bloquer des projets jugés néfastes pour le climat, avec des résultats divers. Une nouvelle tendance émerge dans le cadre de la justice climatique : les procédures pour «greenwashing» engagées contre la communication trompeuse de grandes entreprises ou organisations, comme la Fifa.

1 600 affaires aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, première puissance économique au monde et historiquement premiers émetteurs de gaz à effet de serre, les procès en justice climatique fleurissent. Le Centre Sabin pour la législation sur le changement climatique y relève 1 600 affaires.

Parmi celles qui ont marqué la nation, le premier procès constitutionnel sur le climat de l’histoire des Etats-Unis est la plus symbolique. Dans le Montana, une dizaine de jeunes de 5 à 22 ans ont intenté un procès contre leur Etat en 2020, arguant que celui-ci violait leur droit constitutionnel à un «environnement propre et sain» en soutenant l’expansion des énergies fossiles. Les plaignants, qui n’ont pas demandé de compensations financières, ont seulement réclamé que leur gouvernement se «saisisse de sa responsabilité constitutionnelle pour atténuer les préjudices causés par ses propres actes». Ces jeunes ont eu gain de cause lorsqu’une juge a tranché en leur faveur en août 2023.

Plus récemment, le comté de Multnomah, dans l’Oregon, dans le nord-ouest des Etats-Unis, a déposé plainte en juin 2023 contre plusieurs multinationales pétrolières. Ce comté accuse ExxonMobil, Shell, Chevron, BP, ConocoPhillips et Total Specialties USA d’être responsables du «dôme de chaleur» meurtrier de 2021 et leur réclame plus de 51 milliards de dollars. L’American Petroleum Institute et le cabinet McKinsey sont aussi visés.

Au Pakistan, la justice donne raison à un agriculteur

Parmi les premières affaires climatiques à résonner dans un pays en développement, figure le cas d’un agriculteur pakistanais, Asghar Leghari. En 2015, celui-ci a reproché à son gouvernement l’absence d’application de la Politique nationale relative au changement climatique, votée l’année précédente et censée courir jusqu’en 2030. Il passe alors par la justice pour défendre le droit à la vie, à la dignité humaine, à l’information et à la propriété face au réchauffement climatique.

Plus tard la même année, les juges lui donnent raison et considèrent que le «retard et la léthargie» de l’exécutif pakistanais dans la mise en place de la Politique nationale heurtent le droit des citoyens du pays. La cour enjoint donc à certains ministres de présenter une liste d’actions à mettre en œuvre dans les mois suivants. Une Commission sur le changement climatique composée de ministres, d’ONG, et d’experts pour surveiller les progrès réalisés en la matière a été également été créée. Mais cette victoire pour les défenseurs de la planète n’a pas fait évoluer radicalement la politique climatique du Pakistan, l’un des pays les plus pollués au monde. Très vulnérable au réchauffement climatique, il est régulièrement frappé par les catastrophes météorologiques.