Une audience «sans précédent», un «tournant» ou encore un «cas unique» : les mots ne manquent pas pour désigner cette nouvelle affaire inédite de justice climatique. Six jeunes Portugais, âgés de 11 à 24 ans, demandent des comptes à 32 Etats devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en leur reprochant leur inaction face au réchauffement climatique. Les violents incendies de 2017, qui ont brûlé des dizaines de milliers d’hectares et fait plus de 100 morts au Portugal, sont à l’origine de leur requête auprès de cette juridiction internationale basée à Strasbourg. Preuve de l’importance que la CEDH accorde à cette affaire, c’est sa grande chambre, sa formation la plus solennelle, qui siégera le 27 septembre à partir de 9 heures.
Dans un contexte d’explosion mondiale du nombre d’affaires judiciaires liées au climat, des Pays-Bas aux Etats-Unis, la décision que la Cour rendra d’ici plusieurs mois sera très scrutée. Les arrêts rendus par la CEDH sont en effet contraignants pour ses 46 Etats membres et font jurisprudence : ils deviennent une référence pour d’autres affaires. Ce dossier est aussi une première par son ampleur pour cette juridiction dépendante du Conseil de l’Europe par son ampleur. «C’est un cas unique» en ce qui concerne «le nombre d’Etats» incriminés, indique une source au sein de l’institution mise en place en 1959.
«David contre Goliath»
Le conseil des six requérants, Gerry Liston, espère une décision «qui agirait comme un traité contraignant imposé par la Cour» aux Etats et qui leur intimerait «d’accélérer leurs efforts pour atténuer le changement climatique». «D’un point de vue juridique, cela changerait la donne» en matière de justice climatique, alors que les tribunaux jouent un rôle de plus en plus important dans ce combat, estime l’avocat du Global Legal Action Network (Glan), une ONG britannique qui soutient les jeunes plaignants. Ces six Portugais, qui craignent pour leur santé, disent éprouver «de l’anxiété face aux catastrophes naturelles et à la perspective de vivre dans un climat de plus en plus chaud», résume la CEDH dans un communiqué.
La Cour ne s’est encore jamais prononcée sur les obligations des 46 pays membres du Conseil de l’Europe – et, de fait, de la CEDH – sur cette question des émissions de gaz à effet de serre. Elle examinera en premier lieu la recevabilité de cette requête, le dossier pouvant être rejeté sans examen sur le fond.
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Cette recevabilité de la requête, ou non, sera au cœur des débats. Alors que la procédure normale implique d’épuiser d’abord les recours devant les tribunaux des pays visés, les requérants ont quant à eux choisi de saisir directement cette juridiction européenne en invoquant la «charge excessive et disproportionnée» de lancer 32 procédures séparées dans 32 Etats. Cette prochaine audience sera «sans précédent par son ampleur et ses conséquences», selon Gearoid O Cuinn, directeur de l’ONG Glan, pour qui ce dossier, une histoire de «David contre Goliath», dépasse le cadre européen. «Jamais autant de pays n’ont eu à se défendre face à un tribunal, où que ce soit dans le monde», cadre-t-il.
«C’est le travail de la CEDH d’entrer en scène»
Derrière la figure de «Goliath», les requérants font référence aux pays européens visés qui contribuent, à travers leurs émissions de gaz à effet de serre, au réchauffement climatique. Ils évoquent des conséquences multiples, entre vagues de chaleur et incendies, notamment au Portugal. Les 27 Etats de l’Union européenne, la Russie, la Turquie, la Suisse, la Norvège et le Royaume-Uni sont ainsi au centre du dossier. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les six jeunes Portugais ont récemment renoncé à assigner Kyiv, initialement concerné. De 33 Etats concernés initialement en septembre 2020, le nombre se fixe aujourd’hui à 32.
«Les gouvernements à travers le monde ont le pouvoir d’arrêter cela, et les Européens font le choix de ne pas le faire», exhorte Catarina dos Santos Mota, requérante de 23 ans. S’ils «échouent à nous protéger, alors c’est le travail de la CEDH d’entrer en scène.» Dans leur requête, les jeunes Portugais invoquent plusieurs textes internationaux sur le climat, notamment l’accord de Paris de 2015, et pointent plusieurs violations de la Convention européenne des droits de l’homme, dont des articles concernant le droit à la vie et respect de la vie privée et familiale. De son côté, Claudia Duarte Agostinho, 24 ans, la plus âgée des plaignants, espère un tournant majeur : «Je crois vraiment que cette affaire va changer le monde.»