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Industries fossiles : les pétroliers arrosent leurs actionnaires de dividendes records

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
BP, Shell, Chevron, ExxonMobil et TotalEnergies vont distribuer plus de 100 milliards de dollars de récompenses à leurs actionnaires pour l’année 2023, dépassant le record de 2022.
Des militants pour le climat manifestent devant le siège de BP à Londres lors de la Journée mondiale d'action pour la justice climatique, qui coïncidait avec la COP28, le 9 décembre 2023. (Hollie Adams/REUTERS)
publié le 2 janvier 2024 à 13h16

Les cinq plus grandes sociétés pétrolières cotées au monde – BP, Shell, Chevron, ExxonMobil et TotalEnergies – devraient récompenser leurs investisseurs avec des versements records de plus de 100 milliards de dollars (91 milliards d’euros) pour l’année 2023, a rapporté le Guardian lundi 1er janvier.

«Au rythme actuel des distributions via des rachats d’actions et des dividendes, ces cinq supermajors pourraient établir un record de distributions aux actionnaires en 2023, dépassant les 104 milliards de dollars dépensés au cours de l’année civile 2022», explique Trey Cowan, analyste à l’Institut d’économie de l’énergie et d’analyse financière (IEEFA). Des versements exceptionnels rendus possibles grâce à une année historique de superprofits, notamment liés à la guerre en Ukraine et au bouleversement des marchés mondiaux de l’énergie.

23 milliards de dollars de récompense

Shell avait déjà provoqué la colère des écologistes en novembre 2023 en annonçant son intention de verser à ses actionnaires au moins 23 milliards de dollars de récompense. Une somme six fois supérieure au montant que la major prévoyait de consacrer aux énergies renouvelables en 2022, malgré ses bénéfices de 40 milliards de dollars cette même année.

De son côté, BP a avisé ses actionnaires d’une augmentation du dividende de 10 % en 2023, bien au-dessus de ses prévisions initiales. Les investisseurs, eux, s’inquiétaient du projet de l’ancien directeur général Bernard Looney de «réimaginer» BP pour en faire une entreprise à consommation énergétique nette zéro d’ici à 2050.

Les compagnies pétrolières offrent des récompenses de plus en plus généreuses à leurs actionnaires alors que ceux-ci font face à une pression croissante pour se désengager. Les manifestations visant les assemblées générales et les conférences des entreprises pétrolières sont désormais fréquemment perturbées, les militants exigeant une action climatique plus ambitieuse. L’hostilité à leur égard grandit également, puisque les industries fossiles sont accusées de profiter de la guerre en Ukraine alors que des millions de ménages ont plongé dans la crise, provoquée par les coûts élevés de l’énergie.

«Au lieu d’investir leurs bénéfices records dans l’énergie propre, ces entreprises doublent leurs investissements dans le pétrole, le gaz et les dividendes de leurs actionnaires», dénonce auprès du Guardian Alice Harrison, de l’association Global Witness. «Une fois de plus, des millions de familles n’auront pas les moyens de chauffer leur maison cet hiver, et des pays du monde entier continueront de subir les phénomènes météorologiques extrêmes liés à l’effondrement climatique. C’est l’économie des combustibles fossiles, et elle est truquée en faveur des riches», poursuit-elle.

L’année la plus chaude jamais enregistrée

Certains écologistes estiment que ces récompenses très lucratives permettent de détourner l’attention des actionnaires concernant l’opposition de plus en plus marquée du public contre l’industrie pétrolière.

Selon Dieter Helm, professeur de politique économique à l’Université d’Oxford et ancien conseiller du gouvernement britannique, ces versements suggèrent aussi que l’industrie reste confiante quant à sa rentabilité future. Il est peu probable que l’agenda climatique joue un rôle dans les récents salaires records des actionnaires, précise-t-il. «Ces entreprises investissent énormément dans de nouveaux projets et distribuent des dividendes plus importants parce qu’elles sont convaincues qu’elles obtiendront de gros rendements. Et quand nous regardons l’état actuel de nos progrès en matière climatique, qui peut dire qu’ils ont tort ?»

Ces récompenses records coïncident aussi avec l’année la plus chaude jamais enregistrée et une série d’événements météorologiques extrêmes qui se sont abattus partout dans le monde. En décembre, la COP 28 de Dubaï a finalement entériné la «transition hors des énergies fossiles». Une décision qualifiée par certains d’«historique», la mention des énergies fossiles apparaissant pour la première fois dans un texte de COP. De quoi freiner les investissements vers ces combustibles ?

Les experts s’attendent à ce que l’industrie pétrolière et gazière ne soit plus le secteur qui verse les plus gros dividendes en 2024, passant à la deuxième place derrière les banques. Trey Cowan, de l’IEEFA, estime pour sa part que «l’industrie pétrolière commence à vider son trésor de guerre utilisé pour payer les actionnaires plus vite qu’ils ne peuvent le reconstituer. Il semble probable que les futures distributions aux actionnaires de ces sociétés diminueront».