Le bouc émissaire était tout trouvé : le manque d’entretien des cours d’eau. Durant les épisodes successifs d’inondations exceptionnelles dans le Pas-de-Calais fin 2023 et début 2024, des syndicats agricoles ainsi que de nombreux élus, dont le président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, ont repris en chœur le même refrain et appelé à un curage des lits des rivières en urgence. Mais une mission administrative vient de montrer que ces accusations sont infondées. Un rapport des inspections des ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture, publié mardi 16 juillet, assure que «le manque d’entretien des réseaux hydrauliques permettant l’évacuation des eaux vers la mer n’a pas été la cause des inondations dans le Nord et le Pas-de-Calais».
Les auteurs expliquent que «le facteur déclenchant […] est l’ampleur des précipitations, avec des cumuls atteignant près de 800 millimètres sur les deux derniers mois de l’année 2023, causant des crues dépassant très largement les niveaux centennaux». Ces pluies diluviennes «ont très largement excédé les capacités des ouvrages de protection contre les crues, même quand ils sont parfaitement entretenus, ceux-ci étant le plus souvent, et logiquement, dimensionnés pour des épisodes d’occurrence inférieure à une crue cinquantennale», poursuit le rapport.
Le curage, une technique remise en question
«Les inondations d’ampleur inédite, survenues à l’automne 2023 et en janvier 2024 sur les secteurs de l’Audomarois, du delta de l’Aa, du Boulonnais et du Montreuillois, ont donné lieu à des critiques exprimées notamment par la profession agricole» contre un entretien jugé «insuffisant», rappellent les inspecteurs. Dans ses revendications lors de la crise agricole, la FNSEA, syndicat agricole majoritaire, avait d’ailleurs demandé le «curage des cours d’eau pour prévenir les inondations». Les inspecteurs des deux ministères avaient ensuite été chargés, le 1er février, d’identifier de potentielles mesures de «simplification» des contraintes légales pesant sur l’entretien des cours d’eau, dont certaines visent à protéger les espèces menacées.
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Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, avait, lui, annoncé préparer un changement de réglementation pour «faciliter le curage». La pertinence de la technique est toutefois contestée par de nombreux hydrologues, compte tenu du risque de destruction du fond biologique des rivières, ou parce que cela peut au contraire accélérer l’écoulement de l’eau vers l’aval et accroître l’érosion des berges. «La mission conteste qu’il faille faire du curage des cours d’eau un préalable général», insistent justement les inspecteurs, qui inscrivent cette phrase en gras dans leur rapport.
Dès janvier, des dérogations pour ces curages avaient été accordées par les préfets du Pas-de-Calais et du Nord, en urgence. «Adaptée aux circonstances du moment, cette base juridique serait sujette à caution si elle devait perdurer», avertit la mission, tout en proposant plusieurs pistes de clarification et simplification du cadre légal.
Une région vulnérable qui doit s’adapter
En raison du réchauffement climatique, les précipitations extrêmes devraient augmenter en nombre et en intensité dans la région, selon les climatologues. Le delta de l’Aa, vaste polder très peuplé et quasiment sous le niveau de la mer à marée haute, est l’une des zones françaises les plus vulnérables aux conséquences du changement climatique.
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Les inspecteurs rappellent qu’il existe des solutions bien moins agressives pour prévenir les inondations. Pour «atténuer les effets du ruissellement, favoriser l’infiltration de l’eau dans le sol, et créer des zones tampon naturelles», on peut ainsi multiplier «les bassins de rétention et les zones d’expansion des crues» ainsi que la plantation de haies. «La création ou la restauration de zones végétalisées à proximité des cours d’eau constitue une autre stratégie efficace», ajoute le rapport. Il mentionne enfin le fait que l’agriculture de conservation a un vrai pouvoir pour lutter contre les crues : le non-labour, la couverture végétale permanente et la rotation des cultures aident à réduire l’érosion des sols et les ruissellements superficiels. Ainsi, «ces pratiques, loin de rechercher l’écoulement des crues le plus vite possible, ont pour objectif d’améliorer la structure du sol, d’augmenter sa capacité d’infiltration et de contribuer à une meilleure rétention de l’eau dans les parcelles».