Emprunter des routes inondées, oublier ses médicaments, ne pas débrancher ses appareils électriques… Dans la précipitation et face à l’urgence d’une montée des eaux soudaine, des erreurs peuvent être commises. Libération fait le point, avec des acteurs de terrain, sur les comportements à risque en cas d’inondation et ceux, au contraire, qui peuvent sauver des vies.
Reportage
Avant
Au loin, de gros nuages noirs. Le temps se gâte. D’abondantes précipitations sont attendues dans les prochaines heures. Météo France annonce de possibles crues sur les cours d’eau qui bordent votre maison. Il existe plein d’astuces préventives qui permettront de limiter les dégâts et, surtout, de se mettre le moins en danger possible. «Il faut rester informé avant, pendant et après l’événement climatique, que ce soit via Météo France, Vigicrues ou les médias de manière générale», appuie Adam Beernaert, directeur général de la protection civile du Pas-de-Calais.
Une fois que l’on est sûr de l’imminence d’une inondation, il faut «s’éloigner de tout ce qui est bord de mer, lac, digues pouvant céder, et se mettre à l’abri. Surtout pas en sous-sol, cave ou parking, mais plutôt en hauteur, à l’étage. Si l’on est chez soi, débrancher tous les appareils électriques qui ne sont pas essentiels, pour éviter des problèmes en cas d’intrusion d’eau», complète Adam Beernaert. Et de ne pas non plus oublier «les personnes fragiles, âgées ou en situation de handicap», à qui l’on peut proposer de se réfugier chez soi.
Dans un rapport qui publié fin avril, la Croix-Rouge française liste des propositions pour renforcer l’anticipation collective face aux effets du changement climatique. Elle préconise, avant toute catastrophe, de «prévenir les voisins, en priorité les plus fragiles ; recharger son téléphone et sa batterie de secours ; se faire connaître auprès des services de secours lorsqu’on est en situation de dépendance». Si l’on quitte sa maison, «couper le gaz et l’électricité ; fermer les portes et les fenêtres». Pour protéger ses biens, il faut «surélever le plus possible de choses dans les étages ou en hauteur ; fermer la baignoire : mettre le bouchon et du poids dessus pour le maintenir, pour éviter que la boue ne ressorte par là ; ne rien stocker au sous-sol, dans l’idéal le condamner ; boucher au mieux toutes les ouvertures du domicile avec du linge ou du ruban adhésif (pourtour des fenêtres, encadrement de la porte)…»
Environnement
Pour ceux qui se savent particulièrement exposés au risque d’inondation et qui souhaiteraient anticiper bien plus en amont la situation, Ghislaine Verrhiest-Leblanc, directrice générale de l’Association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques (AFPCNT), vous livre ses conseils : «Il peut être intéressant de faire un plan familial de mise en sûreté : “S’il se passe quelque chose, et que l’on n’arrive pas à se joindre, où est-ce que l’on se retrouve ?” Préparer les enfants en leur expliquant qu’en cas d’inondation, papa et maman n’iront pas les chercher à l’école.»
En cas d’urgence, que ce soit pour évacuer ou pour se réfugier sur le toit de sa maison, le gouvernement préconise de préparer un «kit d’urgence 72 heures». «C’est un kit qui n’est pas très coûteux : un sac à dos qu’on laisse accroché dans l’entrée, avec une photocopie des papiers d’identité, des papiers importants qu’on n’aimerait pas perdre, des médicaments en cas de traitement impératif, une lampe dynamo, des barres de céréales, le double des clés, un peu d’argent liquide…, énumère Ghislaine Verrhiest-Leblanc. Tout ce que l’on oublierait dans la précipitation. Le préparer en temps de paix, en famille, c’est déjà un poids en moins et un soulagement au moment de l’inondation.»
Pendant
Les rivières débordent, l’eau commence à s’infiltrer dans votre maison. Avant tout, il ne faut pas aller chercher ses enfants à l’école. «Ils sont en sécurité, les écoles ont des plans d’urgence», indique Ghislaine Verrhiest-Leblanc, qui conseille de se rapprocher des établissements pour connaître leur fonctionnement, afin d’être rassurés en tant que parents.
Pour se protéger au moment de l’inondation, la Croix-Rouge préconise de «ne pas se déplacer sauf si les autorités le demandent. En cas d’obligation de déplacement, signaler son départ ainsi que sa destination à ses proches ; ne jamais traverser une zone inondée ni à pied ni en voiture et ne pas s’approcher des fils électriques tombés à terre ; ne pas attendre le dernier moment pour évacuer si l’ordre a été donné ; s’assurer que l’eau est potable avant de la boire». Des conseils similaires à ceux de Ghislaine Verrhiest-Leblanc qui précise qu’il ne faut pas «prendre de jolies photos pour les réseaux sociaux¦: beaucoup se mettent en danger mais la force et la rapidité des inondations peuvent surprendre». En cas de coupure d’électricité, Adam Beernaert rappelle qu’il ne faut surtout pas «allumer de groupe électrogène en intérieur, au risque de s’intoxiquer».
Si vous êtes en voiture au moment de la crue, il faut «essayer se mettre en hauteur à l’abri et ouvrir les vitres, car une fois le système noyé, les fenêtres seront condamnées, souligne Ghislaine Verrhiest-Leblanc. Si je suis piégé dans mon véhicule, il existe des petits marteaux brise-vitre : en quelques secondes, on coupe la ceinture et on brise la fenêtre pour sortir du véhicule. Pour moins de 10 euros, ça peut sauver des vies !»
Après
La décrue commence. L’eau se retire petit à petit, et vous constatez tous les dégâts qu’elle a laissés sur son passage. «Il faut rester en vigilance, appliquer les consignes et ne pas hésiter à demander l’aide des services de l’Etat», indique le directeur de la protection civile.
C’est l’heure du bilan et des lourdeurs administratives avec les assurances. Estelle Doutriaux, maire de la petite commune de Bourthes (Pas-de-Calais) plusieurs fois victime de la crue de l’Aa cet hiver, indique qu’il ne «faut pas oublier de prendre des photos et de référencer tout ce qui a pris l’eau. Même si un appareil électrique semble fonctionner, il faut le déclarer à l’assurance, car parfois les pannes arrivent après coup.»
«Il faut décrire tout ce qu’il s’est passé, afin d’avoir des traces et contacter rapidement son assurance. Surtout, ne toucher à rien», martèle de son côté Adam Beernaert. «Il faut demander l’autorisation à son assurance avant de nettoyer, parce que certaines n’indemnisent pas s’il n’y a plus de trace au moment de leur passage», précise-t-il. Bon à savoir. «Je conseille également d’envoyer toutes les preuves photos à quelqu’un, au cas où le téléphone tombe en panne, cela permet d’en avoir des copies.» Plus l’assurance est avisée rapidement (avant même la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle), plus les équipes de secours peuvent intervenir rapidement.
Pour aller plus loin
«Ne pas jeter le matériel endommagé ! Si la machine à laver a été détruite, il faut la garder comme preuve tant que l’expert de l’assurance n’est pas passé», spécifie Ghislaine Verrhiest-Leblanc. Le passage de l’expertise peut parfois prendre des semaines, ce qui nécessite de tout entreposer quelque part. Si ce n’est pas possible, il faut bien conserver toutes ses factures et ses photographies. L’édile Estelle Doutriaux, elle, conseille de revenir régulièrement dans sa maison en attente de l’expert : «Il faut essayer d’entretenir son habitation, de déshumidifier et de ne pas laisser des zones moisir. Certaines personnes ont abandonné leur maison et ont attendu les assurances, alors que si elles avaient mis un système de chauffage, il y aurait eu moins d’humidité, donc moins de dégâts».
Le tout, afin de tourner rapidement la page de l’événement, traumatisant pour beaucoup. «Les inondations, ce n’est pas que matériel, il y a aussi toutes les répercussions psychologiques. Il ne faut pas que les gens restent seuls, certains ne sont pas en capacité de voir qu’ils sont en état de choc post-traumatique», note Ghislaine Verrhiest-Leblanc. Et d’ajouter : «L’enjeu, c’est l’anticipation : que tout le monde se prépare, de façon non coûteuse, opérationnelle et consciente. Si l’on est moins touché, alors on se relèvera plus vite.»
Mise à jour jeudi 10 octobre, après l’arrivée de la dépression Kirk en France.