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Gestion de l'eau

Irrigation, retenues d’eau, industrie… Trois chiffres inédits sur la consommation d’eau en France

La raréfaction de l’or bleu à cause du réchauffement conduit les autorités à mieux estimer la consommation réelle d’eau. Une note dévoile ce jeudi 18 avril l’ampleur de l’augmentation de l’irrigation, en particulier dans le nord de la France.
Dans la note rendue publique ce jeudi 18 avril, la ressource en eau renouvelable a baissé de 14 % en France au cours des quinze dernières années. (Michel Gile /Biosphoto.AFP)
publié le 18 avril 2024 à 20h34

Quelques données fraîches pour poser les bases d’une meilleure gestion de l’eau. Ce jeudi, France Stratégie, service de prospective rattaché à Matignon, dévoile une note détaillant la demande en eau en métropole, avec quelques chiffres inédits à la clé. Le document s’intègre dans le cadre d’un chantier plus large lancé en octobre 2023 et qui donnera lieu, à l’automne, à la publication de projections climatiques et de trois scénarios (dont un fondé sur une sobriété importante) pour estimer dans quels territoires des conflits d’usage sont à craindre.

L’étude rendue publique ce jour rappelle que la ressource en eau renouvelable, c’est-à-dire la partie issue des précipitations qui ne s’évapore pas, a baissé de 14 % en France au cours des quinze dernières années. Sous l’effet du changement climatique, elle devrait encore «diminuer dans les prochaines décennies, au moins dans certains territoires en période estivale. Cette raréfaction s’impose à nous, donc anticiper les équilibres entre ressources et besoins en eau est crucial», explique le commissaire général par intérim de France Stratégie, Cédric Audenis.

L’irrigation en agriculture augmente

Près de deux tiers de la consommation d’eau en France, c’est-à-dire l’eau prélevée sans être directement restituée aux milieux naturels, sont liés à l’agriculture. Et ce alors que seulement 8 % des terres sont irriguées. Mais cette pratique «progresse sur tout le territoire», selon l’organisme : entre 2010 et 2020, les surfaces équipées d’un système d’irrigation ont augmenté de 23 %. Une évolution significative qui va se poursuivre si les types de cultures ne changent pas. Cela peut poser problème car l’or bleu est essentiellement pompé en juin et août, «période au cours de laquelle les niveaux des nappes et des rivières sont au plus bas», signale France Stratégie.

Actuellement, les bassins-versants Adour-Garonne, Rhône-Méditerranée et Loire-Bretagne sont les trois principales zones d’irrigation, mais son usage «semble surtout marqué dans le nord de la France, où elle était jusqu’à présent peu développée», précise la note. La pratique a ainsi connu une croissance de 78 % en dix ans dans le bassin-versant Artois-Picardie. Cela s’explique par «une augmentation des surfaces agricoles destinées à la pomme de terre et aux légumes d’industrie (petits pois, haricots verts…) dit Hélène Arambourou, adjointe au directeur du département développement durable et numérique de France Stratégie. Pour respecter les cahiers des charges en termes de calibres, il faut irriguer.» Certaines cultures jusqu’ici peu arrosées le deviennent aussi, notamment la vigne, dont la part irriguée est passée de 3 % à 9 %.

Les experts de France Stratégie ont aussi calculé que les productions irriguées étaient majoritairement destinées à l’alimentation humaine (44 %), suivie de près par l’alimentation animale (39 %). «Les surfaces irriguées le sont d’abord pour des produits exportés, qu’ils soient à usage d’alimentation animale ou humaine», pointe également la note. De quoi questionner l’argument de la souveraineté alimentaire brandi par le gouvernement, puisque l’eau utilisée en agriculture pour irriguer est donc majoritairement exportée. «Cette note montre bien la grande place qu’occupe la consommation agricole de l’eau et le fait que ça va dans le mauvais sens, analyse Alexis Guilpart, spécialiste eau et milieux aquatiques de la fédération d’associations France Nature Environnement. Un travail sur la sobriété de l’agriculture est à mener. Le modèle alimentaire pourrait aussi être en débat, car la végétalisation de l’alimentation peut constituer une réponse à la raréfaction de la ressource.»

Les retenues d’eau très consommatrices

Pour la première fois, une estimation de l’évaporation via les barrages et autres retenues d’eau, si prisées par le syndicat agricole majoritaire FNSEA et par le gouvernement, a aussi été menée. Selon un récent inventaire de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, la France compte 670 000 plans d’eau artificiels qui stockeraient 18 milliards de m³ au total. Mais un milliard de m³ part dans l’atmosphère tous les ans sous l’effet de la chaleur. Cette évaporation est considérée comme une consommation puisque l’eau captée ne revient pas directement dans le milieu où elle a été prélevée. Si l’on ajoute ce chiffre aux 4,4 milliards de m³ consommés par les activités humaines (industrie, agriculture, énergie, eau potable…), les retenues représentent donc un cinquième de la consommation d’eau en France. L’évaporation provient notamment des grands lacs de la Seine en amont de Paris, de nombreuses petites retenues dans le centre de la France et de barrages dans les Alpes. «Une retenue pouvant être destinée à des usages variés (hydroélectricité, irrigation, soutien de débit d’étiage, alimentation en eau potable), l’imputation de l’évaporation à un usage se révèle délicat», nuance France Stratégie. «Cette estimation doit générer une discussion, car si on multiplie les stockages, on multipliera le phénomène d’évaporation, ajoute Alexis Guilpart. Cela questionne la durabilité de ces pratiques. Au lieu d’augmenter encore la quantité d’eau stockée, il faudrait plutôt la gérer différemment.»

L’agroalimentaire est le secteur industriel le plus gourmand

Enfin, France Stratégie ausculte en détail les secteurs de l’industrie et de la construction, qui représentent 9 % de la consommation d’eau. Principal consommateur, l’agroalimentaire (près de 150 millions de m³ en 2020), suivi par la chimie pharmacie (environ 100 millions de m³) et le traitement des déchets et des eaux usées (environ 50 millions de m³). «Dans le futur, la ressource en eau est appelée à évoluer du fait du changement climatique, et la demande à varier en fonction des dynamiques démographiques et des politiques de décarbonation et de réindustrialisation, avertit France Stratégie. La question de l’eau devra être mieux prise en compte dans l’élaboration des différentes politiques publiques et dans leur territorialisation.»

Sans émettre de recommandations, les auteurs de la note insistent sur le fait des efforts de sobriété sont incontournables dans tous les secteurs et soulignent la difficulté qu’ils ont eue à accéder aux données, inexistantes, partielles ou pas centralisées pour produire leur travail. Et d’avertir : si les chiffres présentés ce jeudi sont essentiellement nationaux et annualisées, «il faut prendre en compte les variabilités spatiales et temporelles», comme le souligne Cédric Audenis. La saisonnalité de la consommation d’eau est en effet importante, mais la France ne dispose pas d’informations fiables sur ce sujet pour le moment.