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Avis

La Cour internationale de justice se prononce sur les obligations des Etats de lutter en faveur du climat

La plus haute juridiction de l’ONU rend un avis ce mercredi 23 juillet pour savoir quels sont les devoirs des pays en matière de lutte contre le changement climatique et déterminer la responsabilité historique des nations les plus polluantes. Cette décision pourrait avoir un impact sur les tribunaux du monde entier.
Manifestation des Jeunes pour le climat à Paris, le 25 mars 2022. (Marie Rouge/Libération)
publié le 23 juillet 2025 à 13h13
(mis à jour le 23 juillet 2025 à 13h14)

C’est un avis sans précédent. Pour la première fois ce mercredi 23 juillet, la Cour internationale de justice (CIJ) se prononce sur les obligations légales des Etats à freiner le changement climatique. Avec une question fondamentale à trancher : la responsabilité historique des grands pollueurs doit-elle être engagée ?

Lancée en 2019 par des étudiants du Vanuatu, un petit archipel du Pacifique, la procédure a été propulsée par un vote de l’Assemblée générale des Nations unies, qui a chargé la CIJ de répondre à deux questions. Premièrement : quelles obligations les Etats ont-ils en vertu du droit international de protéger la Terre contre les émissions de gaz à effet de serre, majoritairement générées par la combustion du pétrole, du charbon et du gaz, pour les générations présentes et futures ? Deuxièmement, quelles sont les conséquences juridiques de ces obligations pour les Etats dont les émissions ont causé des dommages environnementaux, en particulier envers les Etats insulaires vulnérables de faible altitude ?

L’avis que rendront les 15 juges, seulement consultatif, pourrait tout de même influencer et remodeler la justice climatique en inspirant des lois dans le monde entier. Ainsi, c’est «potentiellement l’une des décisions juridiques les plus importantes de notre époque», selon le Centre pour le droit international de l’environnement, une ONG suisse qui soutient la procédure.

Si les COP annuelles ont permis d’infléchir les prévisions de réchauffement, la baisse prévue des émissions de gaz à effet de serre est encore beaucoup trop lente pour tenir l’objectif de 1,5 °C, voire 2 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, fixé par l’accord de Paris de 2015. Le monde est déjà à 1,3 °C de réchauffement.

Quel cadre juridique ?

C’est le cœur du problème. Les juges de la CIJ chercheront à rassembler différents pans du droit environnemental en une norme internationale définitive. Les principaux pollueurs, dont les Etats-Unis et l’Inde, affirment que cela n’est pas nécessaire, puisque la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et ses COP annuelles, sont l’organe politique déjà chargé d’agir.

Mais les plaignants veulent voir adopter un cadre plus large, incluant les droits humains et le droit de la mer. Le Vanuatu a exhorté les juges à prendre en considération «l’ensemble du corpus du droit international» dans leur avis. La CIJ est «la seule juridiction internationale ayant une compétence générale dans tous les domaines du droit international, ce qui lui permet de fournir une telle réponse», a déclaré le petit pays mélanésien.

Pour écouter chaque partie, la plus haute juridiction des Nations unies a dû organiser les plus grandes audiences de son histoire, en décembre 2024 au Palais de la paix, à La Haye, aux Pays-Bas.

Quelles conséquences juridiques ?

C’est la deuxième question, controversée, que les juges ont examinée : quelles sont les conséquences juridiques pour les pays dont la pollution a contribué à la crise climatique ? Des pays comme les Etats-Unis soutiennent que l’accord de Paris de 2015, adopté par quasiment tous les pays du monde mais dont Donald Trump s’est de nouveau retiré, est le texte clé, qui ne prévoit pas de compensation directe pour les dommages passés. Les grands pollueurs estiment de toute façon impossible d’imputer à des pays spécifiques la responsabilité d’un phénomène mondial.

A l’opposé, on invoque un principe fondamental du droit international «ubi jus, ubi remedium» : «là où il y a droit, il y a remède». En jargon juridique, cela se traduirait par la cessation, la non-répétition et la réparation. Donc potentiellement par l’arrêt des subventions aux combustibles fossiles et une réduction des émissions. Les pays vulnérables réclament aussi une réparation financière. «Le principe cardinal est clair comme de l’eau de roche. Les Etats responsables sont tenus de réparer intégralement le préjudice qu’ils ont causé», a plaidé Margaretha Wewerinke-Singh, du Vanuatu. Une demande inacceptable pour la plupart des pays riches.

Les plaignants souhaitent également la reconnaissance des fautes commises dans le passé par les pays pollueurs, ainsi que des délais de grâce pour le remboursement des dettes liées aux catastrophes climatiques. «Bien que responsable de moins de 0,01 % des émissions de gaz à effet de serre, sur la trajectoire actuelle des émissions, Tuvalu disparaîtra complètement sous les vagues qui clapotent sur nos côtes depuis des millénaires», a souligné Eselealofa Apinelu, représentant de l’archipel polynésien.

Y a-t-il préjudice ?

Une autre question est celle du droit «transfrontalier», souvent connu sous le nom de «règle de non-préjudice». Ce principe du droit international signifie qu’un Etat ne doit pas autoriser sur son territoire des activités susceptibles de causer un préjudice à un autre Etat. Cette règle s’applique-t-elle aux émissions de gaz à effet de serre ? Les pollueurs soutiennent que non, puisqu’il n’existe pas de source unique et spécifique pouvant être identifiée comme causant des dommages à un autre Etat.

A quel moment remonte la prise de conscience ?

L’une des questions centrales des audiences en décembre était de savoir à quel moment les gouvernements ont pris conscience que les émissions de gaz à effet de serre réchauffaient la planète. Les Etats-Unis répondent la fin des années 80. La Suisse a défendu que le lien ne pouvait pas être établi avant les études scientifiques de cette décennie. Les plaignants, eux, ont cité des études remontant aux années 60. Ce point est essentiel car il pourrait avoir une incidence sur le moment où les réparations potentielles entreraient en vigueur.

Les générations futures ont-elles des droits ?

Le concept d’«équité intergénérationnelle» est une autre exigence fondamentale des militants de la justice climatique. «L’impact du changement climatique n’est pas limité dans le temps», affirme la Namibie, les effets les plus graves frappant les populations des décennies, voire des siècles plus tard. Mais les pays développés rétorquent que les droits des personnes qui ne sont pas encore nées n’ont aucune valeur en droit international. «Les êtres humains vivant aujourd’hui ne peuvent pas revendiquer des droits au nom des générations futures», a déclaré de son côté l’Allemagne.

Les avis consultatifs de la CIJ ne sont pas contraignants et les détracteurs affirment que les principaux pollueurs l’ignoreront. Toutefois, le droit international se construit avec de tels avis, explique Andrew Raine, du département juridique de l’ONU Environnement : «Ils clarifient la manière dont le droit international s’applique à la crise climatique, ce qui a des répercussions sur les tribunaux nationaux, les processus législatifs et les débats publics.»