Les tempêtes de sable et de poussière sont un «problème sous-estimé et aujourd’hui considérablement plus fréquent dans certaines régions du monde, sachant qu’au moins 25% du phénomène est attribué aux activités humaines», alerte ce mercredi la convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, la CNULCD, dont l’origine remonte au sommet de la Terre de Rio en 1992, comme celles sur le climat et la biodiversité, chacune des trois organisant ses désormais célèbres COP. L’avertissement intervient à deux semaines de l’ouverture de la COP28 sur le climat et alors que se tient cette semaine une réunion du Comité d’examen pour la mise en œuvre de la CNULCD à Samarcande, en Ouzbékistan. Car les deux sujets sont en partie liés. Chaque année, environ 2 milliards de tonnes de sable et de poussière sont rejetées dans l’atmosphère par ces tempêtes d’un genre particulier, l’équivalent du poids de 350 grandes pyramides de Gizeh, indique l’ONU.
«Imprévisibles et dangereuses»
Souvent appelés localement par leur petit nom plus ou moins charmant (sirocco, harmattan, haboob, tempête blanche ou tempête de sable jaune), ces phénomènes météorologiques sont naturels, saisonniers et communs dans les contrées arides et semi-arides d’Afrique du Nord, de la péninsule arabique, d’Asie centrale et de Chine (et dans une moindre mesure d’Australie, du continent américain et d’Afrique du Sud), où la végétation est peu dense ou absente. Ils surviennent en général lorsque des vents forts soulèvent dans l’atmosphère de grandes quantités de sable et de poussière d’un sol sec et nu.
Mais ils sont «accentués par une mauvaise gestion des terres et des ressources en eau, la sécheresse et les changements climatiques résultant de l’activité humaine», constate l’ONU. De sorte que «dans certaines régions, la fréquence des tempêtes de sable et de poussière est en forte hausse ces dernières années», avec une intensité, une ampleur et une durée très variables qui rendent celles-ci «imprévisibles et dangereuses».
«Voir des nuages sombres de sable et de poussière qui roulent et engloutissent tout sur leur passage, transformant le jour en nuit, est l’un des spectacles de la nature les plus intimidants, illustre le Mauritanien Ibrahim Thiaw, secrétaire exécutif de la CNULCD. C’est un phénomène coûteux qui fait des ravages partout, de l’Asie centrale et du Nord à l’Afrique subsaharienne.»
Menace pour les moyens de subsistance et l’environnement
Bien que la poussière et le sable «constituent un fertilisant pour les écosystèmes marins et terrestres», ces tempêtes représentent surtout «une menace pour la santé humaine, les moyens de subsistance et l’environnement», s’inquiète l’ONU. Et elles sont d’autant plus redoutables qu’elles peuvent toucher des régions situées à des milliers de kilomètres de leur source. C’est ce que l’Europe de l’Ouest a, par exemple, pu constater en septembre, lorsqu’un impressionnant panache de sable et de poussière du Sahara s’est étendu de la mer Méditerranée jusqu’au Golfe de Gascogne sur plus de 2 000 kilomètres, avant de se diriger vers la Scandinavie. Ces dernières années, les incursions de particules sahariennes colorent de plus en plus souvent de jaune ou d’orange le ciel et le paysage européens. Bâtiments, voitures, végétation, neige des Pyrénées et des Alpes, tout est alors recouvert de sable. Des épisodes désormais prévus avec précision par le Centre de prévision de la poussière atmosphérique de Barcelone, en Espagne, qui assure la fonction de centre régional du Système d’annonce et d’évaluation des tempêtes de sable et de poussière de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) pour l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Europe.
Exacerbées par le changement climatique, ces tempêtes ont des conséquences sur le climat à l’échelle mondiale et régionale. «Les particules de poussière, surtout si elles sont recouvertes de matières polluantes, font office de noyaux de condensation propices à la formation de nuages chauds et sont d’efficaces agents glaçogènes pour la formation de nuages froids», illustre notamment l’OMM. Elles «influent aussi sur la croissance des gouttelettes d’eau et des cristaux de glace présents dans les nuages et, par ricochet, sur la quantité de précipitations et leur répartition».
De leur côté, les dégâts matériels provoqués par les ouragans sableux ou poussiéreux sont «généralement superficiels ou de faible ampleur», expose l’ONU. Mais leur accumulation «peut avoir des répercussions importantes». Dans les «zones sources», ils endommagent «les cultures, provoquent la mort du bétail et érodent la couche superficielle des sols». Dans les «zones de dépôt», situées parfois à des milliers de kilomètres, donc, «la visibilité réduite et les pannes mécaniques dues aux particules de poussière entraînent aussi des perturbations sur les réseaux de communication, la production électrique, les infrastructures de transport et les chaînes d’approvisionnement», ajoute l’ONU.
Maladies cardiopulmonaires
Enfin, ces particules «peuvent causer ou aggraver des problèmes de santé, comme des maladies respiratoires, en particulier si elles sont combinées à de la pollution industrielle locale». La taille des poussières détermine en grande partie l’ampleur du danger. «Les particules de plus de 10 μm ne peuvent être inhalées et n’affectent donc que les organes externes, détaille l’OMM. Elles provoquent surtout des irritations de la peau et des yeux, ainsi que des conjonctivites et accroissent le risque d’infection oculaire.» Celles qui peuvent être inhalées, dont la taille est inférieure à 10 μm, «se déposent souvent dans le nez, la bouche et les voies respiratoires supérieures et peuvent causer des affections respiratoires (asthme, trachéite, pneumonie, rhinite allergique, silicose, etc.)». Les plus fines, elles, «sont susceptibles de pénétrer dans les voies respiratoires inférieures et la circulation sanguine, où elles peuvent atteindre tous les organes internes et provoquer des troubles cardiovasculaires», ajoute l’OMM. Qui cite cette évaluation glaçante : environ 400 000 personnes âgées de plus de 30 ans sont décédées prématurément de maladies cardiopulmonaires dans le monde en 2014, du fait de l’exposition aux particules de poussière.
Que faire, face à la multiplication de ces funestes tempêtes ? «De la même façon qu’elles sont exacerbées par les activités humaines, elles peuvent aussi être réduites grâce aux actions humaines», répond Ibrahim Thiaw, le patron de la CNULCD. Lequel formule une série de recommandations. Il s’agit ainsi d’atténuer les sources de ces tempêtes, notamment via la restauration des terres, «grâce à des pratiques de gestion des sols et des ressources en eau permettant de protéger les sols et d’augmenter la couverture végétale». Mais aussi de renforcer les systèmes d’alerte précoce et de suivi, d’améliorer la préparation aux catastrophes et de développer la coopération mondiale dans le domaine. Grâce, notamment, aux travaux de la Coalition des Nations Unies pour la lutte contre les tempêtes de sable et de poussière, lancée en 2019.