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Urgence

Le Conseil d’Etat enjoint l’Etat d’agir pour le climat

Ce jeudi, la plus haute juridiction administrative a enjoint l’Etat de «prendre toutes mesures utiles» dans un délai de neuf mois pour «infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national». Mais la portée réelle de cette décision est limitée. Et l’histoire n’est pas terminée.
Lors d'une manifestation pour le climat, à Nantes, le 9 mai. (Sebastien Salom- Gomis/AFP)
publié le 1er juillet 2021 à 16h20

C’est une décision inédite mais qui reste largement symbolique, tant sa portée concrète s’avère limitée. Le Conseil d’Etat a enjoint ce jeudi le gouvernement de prendre «toutes mesures utiles» dans un délai de neuf mois, avant le 31 mars 2022, pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40% d’ici 2030 par rapport à 1990. Sans grande surprise, le juge administratif suprême suit ainsi les conclusions de son rapporteur public et oppose pour la première fois à l’Etat son propre engagement de respecter une trajectoire de réduction des émissions de GES.

«Le compte n’y est pas»

S’estimant menacée par la montée du niveau de la mer, la commune de Grande-Synthe (Nord), rejointe par plusieurs associations, avait demandé en janvier 2019 au Conseil d’Etat d’annuler le refus implicite du gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour atteindre cet objectif, issu de l’accord de Paris de 2015. Dans la décision de ce jeudi, les juges font droit à cette demande. Ils constatent en effet que «le compte n’y est pas», en rappelant le constat déjà établi par plusieurs instances, notamment le Haut Conseil pour le climat (HCC).

Le Conseil d’Etat – qui ne prend pas en compte dans sa décision le dernier rapport, sévère, du HCC, publié mercredi– observe ainsi que la baisse des émissions de GES en 2019 est «faible» et que celle de 2020 n’est «pas significative» et s’avère «transitoire», car l’activité économique a été réduite par la crise sanitaire. Il estime aussi que le respect de la trajectoire, qui prévoit notamment une baisse de 12% des émissions pour la période 2024-2028, «n’apparaît pas atteignable si de nouvelles mesures ne sont pas adoptées rapidement».

Et ce d’autant plus que l’accord entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne en avril a relevé l’objectif de réduction des émissions gaz à effet de serre de 40% à 55% par rapport à leur niveau de 1990. Ce qui devrait conduire la France à rehausser elle aussi son objectif, donc accroître encore le défi à relever. Les juges observent aussi que le gouvernement «admet que les mesures actuellement en vigueur ne permettent pas d’atteindre l’objectif» actuel de diminution de 40% des émissions, «puisqu’il compte sur les mesures prévues par le projet de loi “climat et résilience” [en cours d’examen au Parlement, ndlr] pour atteindre cet objectif».

Un symbole fort

Vu le caractère insuffisant des mesures prises à ce jour, le Conseil d’Etat enjoint donc le Premier ministre «de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre».

Pour la première fois, la justice française constate que l’Etat n’en fait pas assez pour atteindre ses objectifs climatiques et le contraint donc à agir. Ce qui est symboliquement fort. Mais ce qui laisse aussi, de facto, une large marge de manœuvre au gouvernement. D’abord, le Conseil d’Etat se base sur «la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre telle qu’elle résulte du décret du 21 avril 2020»… trajectoire qui est tout sauf à la hauteur des enjeux et a été largement critiquée, notamment par le HCC, puisqu’elle reporte l’essentiel des efforts de réduction après 2020. Autrement dit, il demande à l’Etat de respecter une mauvaise trajectoire.

«Le rôle du politique»

Ensuite, l’injonction faite à l’Etat ne concerne que les GES émis sur le territoire national, sans tenir compte des émissions «importées», notamment celles liées à la déforestation en Asie ou en Amérique du Sud. Tout sauf négligeable. Enfin, que veut dire l’expression «toutes mesures utiles», concrètement ? Les juges ne le précisent pas, séparation des pouvoirs oblige. «Ce n’est pas à nous, au stade de cette décision, de dire à l’Etat quelles mesures il doit prendre, ça, c’est le rôle du politique, de faire les choix entre les différentes options qui existent, avancent les juges du Conseil d’Etat. D’abord, parce que ce n’est pas ce que les requérants nous demandaient et par ailleurs, ce n’est pas notre rôle, dans la mesure où ce qui est en cause, c’est le respect d’un objectif général, ce n’est pas de prendre telle ou telle mesure qui aurait été prévue par le législateur. Si le législateur avait dit “il faudra prendre des mesures dans tel ou tel domaine”, nous aurions sans doute été amenés à être plus précis, mais là, ce n’est pas le cas. Donc en droit, le gouvernement a le choix d’une vaste gamme de mesures.»

L’histoire n’est donc «pas terminée», souligne le Conseil d’Etat. Rendez-vous le 31 mars 2022, au terme d’un «délai assez classique» de neuf mois, disent les juges. Qui précisent : «A ce moment-là, nous verrons si les mesures prises sont suffisantes et conformes à l’objectif fixé par le législateur en application des accords de Paris, sachant que cet objectif de 40% est un plancher» qui risque d’être relevé pour tenir compte du nouvel objectif européen de -55%.

Par la décision de ce jeudi, l’Etat est a minima invité à prendre rapidement les décrets d’application de la loi climat et résilience. Après la clause de revoyure du 31 mars 2022, si les «mesures utiles» présentées sont toujours jugées insuffisantes, la plus haute juridiction administrative pourrait prononcer une astreinte contre l’Etat, un peu comme il l’a fait dans l’affaire des Amis de la terre sur la pollution de l’air, l’été 2020. Ce qui prendrait au moins encore plusieurs mois.