Des pièces, des bijoux, des outils ou des armes : le cuivre est utilisé depuis l’Antiquité. Durable, malléable, c’est sa conductivité qui permet la révolution de l’électricité à partir du XIXe siècle. Mais il suffit de regarder ses records de prix, ces derniers mois, à la bourse de Londres ou de New York, pour comprendre qu’il n’est pas un métal du passé. Bien au contraire : ses propriétés uniques en font «le nouveau pétrole», se frottait récemment les mains Jeff Currie, directeur de la stratégie au sein du groupe Carlyle. Cet ancien responsable mondial de la recherche sur les matières premières chez Goldman Sachs considère que le cuivre est même «le meilleur marché de [s]a carrière».
Fin mai, le prix du cuivre au London Metal Exchange (LME), principale place boursière pour les métaux qui approvisionne les industries du monde entier, a dépassé les 10 800 dollars la tonne. Aux Etats-Unis, avec un marché du cuivre particulièrement tendu, la tonne de métal rouge s’est même échangée, le 20 mai à la bourse de New York, pour plus de 11 100 dollars la tonne - un record historique. Si les cours, volatils, sont redescendus depuis, la tendance haussière du métal rouge n’est pas démentie, s’installant durablement autour des 10 000 dollars la tonne – presque le double d’il y a dix ans. Interrogé fin mai par le Financial Times, le gestionnaire de fonds spéculatifs Pierre Andurand anticipe même un prix du cuivre quadruplé, à 40 000 dollars la tonne au cours des prochaines années, devant l’explosion de la demande mondiale. Et, en face, l’insuffisance de la production et des stocks mondiaux.
Bouleversements technologiques
«Le cuivre, c’est la matière première du XXIe siècle, c’est le métal le plus stratégique», insiste Philippe Chalmin, historien et économiste français, professeur à l’université Paris-Dauphine et spécialiste des marchés de matières premières. Le cuivre est en effet indispensable pour répondre aux bouleversements technologiques à l’œuvre aujourd’hui, des data centers permettant le développement de l’IA à la transition énergétique – électrification de la mobilité, production d’énergies renouvelables, stockage de l’électricité, mises à niveau du réseau…
Des nouveaux usages qui viennent s’ajouter aux utilisations traditionnelles du cuivre, présent «dans l’ensemble de la production de l’économie, avec une variété d’applications électriques et non électriques», rappelle Robert Edwards, analyste principal à la CRU (Commodities Research Unit), une organisation spécialisée dans le conseil et l’étude des marchés miniers, dont le siège est à Londres. Le métal est en effet indispensable au secteur de la construction, pour la fabrication d’équipements mais aussi pour d’innombrables biens de consommation.
L’importance du cuivre dans les sociétés modernes est telle que la demande en métal rouge est souvent utilisée comme indicateur de la santé d’une économie. Et ces dernières semaines, les surplus de cuivre en Chine sont venus souligner le ralentissement de son secteur immobilier, tout en tempérant les cours mondiaux. «Il y a eu une certaine ferveur spéculative et les prix ont commencé à se normaliser, en partie à cause d’indicateurs moins positifs en provenance de Chine, et d’une offre meilleure que prévu», explique l’analyste.
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La Chine est le plus gros importateur mondial de cuivre, mais également le premier producteur et consommateur de cuivre raffiné. Tout soubresaut de son économie a, de fait, des conséquences sur les marchés mondiaux. «La Chine représente environ 60 % de la consommation mondiale de cuivre raffiné, contre 11 % pour l’Europe et 6 % pour les Etats-Unis, détaille Robert Edwards, de la CRU. Toutefois, il ne faut pas oublier que la Chine exporte ensuite un tiers de son cuivre environ, sous forme de produits finis, des fils et câbles aux machines à laver en passant par les véhicules électriques.»
Marché à 330 milliards de dollars
Une maison moyenne contient au moins 100 kilos de cuivre. Une voiture thermique, 25 kilos ; un véhicule électrique, autour de 80 kilos. «Dans une société qui devient de plus en plus électrique, la place du cuivre est incontournable, reprend Philippe Chalmin, également fondateur du Cercle Cyclope, qui publie chaque année un rapport très attendu sur les marchés mondiaux de matières premières. Elle l’est d’autant plus qu’à la différence d’autres métaux, le cuivre n’est pas substituable.»
Ainsi, pour atteindre la neutralité carbone, la demande globale de métal rouge devrait augmenter de 50 % d’ici à 2040, a calculé l’AIE. D’ici là, la valeur combinée des principaux minéraux liés à la transition énergétique aura plus que doublé, atteignant 770 milliards de dollars. Cuivre en tête, avec un marché global estimé à 330 milliards de dollars, devant le lithium et le nickel. De quoi aiguiser les appétits des géants miniers dans les trois plus gros pays producteurs – le Chili, le Pérou, et la République démocratique du Congo (RDC).
Mais si le marché est correctement approvisionné aujourd’hui, les projets dans les tuyaux ne suffiront pas à répondre à la demande croissante dans les années à venir, prévient l’AIE dans son dernier rapport sur les métaux critiques. «Dans le scénario où les pays du monde entier atteignent leurs objectifs climatiques nationaux, seuls 70 % des besoins en cuivre d’ici à 2035» seraient ainsi couverts. L’Agence estime qu’il faudrait ouvrir 80 nouvelles mines de cuivre pour répondre aux besoins de la transition, de la composition des batteries de véhicules électriques à celle des câbles électriques. Compte tenu du temps nécessaire à la mise en place d’une mine, de dix à quinze ans, des investissements massifs devraient être engagés dans tous ces projets d’ici à la fin 2025. A l’heure actuelle, seule une dizaine de nouvelles mines de cuivre sont en projet.
Le secteur cuprifère pourrait ainsi souffrir d’une crise de l’offre dans les années à venir. Le cabinet de conseil McKinsey avait calculé que le monde connaîtrait un déficit de l’ordre de 6,5 millions de tonnes de cuivre d’ici au début de la prochaine décennie, avec l’augmentation de la demande due à l’électrification mondiale. L’offre peine déjà à suivre la demande en raison de défis multiples pour les opérateurs miniers, entre préoccupations sociales et environnementales, instabilité politique, tensions géopolitiques, et surtout, baisse de la teneur en cuivre des gisements déjà exploités. «La teneur moyenne du minerai de cuivre au Chili a diminué de 30 % au cours des quinze dernières années, note l’AIE. L’extraction des métaux contenus dans les minerais de moindre qualité nécessite plus d’énergie, ce qui exerce une pression à la hausse sur les coûts de production, les émissions de gaz à effet de serre et les volumes de déchets.»
Revers opérationnels
Au Panama, fin 2023, après des semaines de manifestations et de barrages routiers, la Cour suprême a mis fin à l’exploitation de la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert d’Amérique centrale, notamment pour raisons environnementales, dans la province de Colón, par la société canadienne First Quantum Minerals (FQM), «effaçant potentiellement 1,5 % de la production mondiale», note le rapport CyclOpe 2024. Au Chili, le groupe minier étatique Codelco, premier producteur mondial de cuivre, voit ces dernières années son rendement chuter à son plus bas niveau depuis un quart de siècle. En cause, des revers opérationnels, un sous-investissement chronique, des retards dans les projets de développement, mais également des mines vieillissantes, dont le minerai est de moins bonne qualité.
Mi-juin, la société minière américaine Nevada Copper Corp a dû se déclarer en faillite, faute de financements pour son site cuprifère de Pumpkin Hollow, situé dans l’Etat du sud des Etats-Unis. Ses principaux actionnaires ont en effet refusé de remettre au pot, après qu’une série d’incidents et de revers opérationnels a fait grimper la facture. Le développement de nouveaux projets d’extraction nécessitent en effet des sommes colossales, et malgré la tendance haussière des cours du métal, industriels et investisseurs «ne se pressent pas au portillon» pour lancer de nouveaux projets, remarque Philippe Chalmin, renforçant la probabilité d’une pénurie à l’avenir. «Pour une mine qui produit 300 000 tonnes, c’est un investissement de l’ordre de 10 milliards de dollars, avec tous les tracas qui vont avec. Qu’on le veuille ou non, même si le cuivre sert à la transition énergétique, une mine, ce n’est jamais neutre du point de vue environnemental.»
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Les grandes sociétés minières n’ont pas pris l’engagement de construire de nouveaux projets d’envergure, «en raison de la nécessité d’investissements initiaux élevés et de longs délais de construction, dus à toute une série de contraintes comme l’obtention de permis et d’une licence sociale d’exploitation», ajoute Robert Edwards, l’analyste de la CRU. «Plus généralement, les opérateurs miniers ont cherché à acheter plutôt qu’à construire, même si nous pensons que le vent est en train de tourner grâce aux progrès réalisés sur certains projets, et à l’attitude plus positive, dans certains cas, des gouvernements à l’égard du secteur minier.»
De fait, pour augmenter la production rapidement et à peu de frais, la méthode consiste surtout à acquérir des concurrents, à l’instar de l’offensive du géant BHP sur Anglo American pour mettre la main sur les «actifs de cuivre de classe mondiale» de ce dernier. Quant aux rares découvertes de gisement, ces dernières années, elles ont surtout été faites dans la Copperbelt, la ceinture du cuivre africaine qui s’étend de la Zambie à la RDC, où l’instabilité politique de la région n’encourage guère les investissements. «Il n’y a quasiment aucun gros projet de cuivre dans le pipeline, appuie Philippe Chalmin. Il y a bien quelques augmentations de capacité ici ou là, mais celles-ci vont surtout compenser l’appauvrissement des mines existantes.» L’insuffisance de la production primaire ne pourra pas, à court terme en tout cas, être comblé par le recyclage.
A l’horizon 2040, le marché du cuivre devrait être de plus en plus déficitaire. De quoi conforter la stratégie des investisseurs, et encourager la spéculation sur le métal. «Je serais un gestionnaire de patrimoine, ou de fonds d’investissement, aujourd’hui je jouerais la carte du cuivre ou des sociétés minières de cuivre, conclut le spécialiste français des marchés de matières premières. Je la jouerais probablement plus que celle des pétrolières.»