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Le manquement d’un Etat sur la protection du climat est «un fait internationalement illicite», selon la CIJ

Dans un avis inédit rendu ce mercredi 23 juillet, la Cour internationale de justice estime que la hausse des températures est «une menace urgente et existentielle». La plus haute juridiction de l’ONU ouvre ainsi la voie à une obligation de «réparation» pour les pays pollueurs.
Lors d'une marche «Fridays for future», à Paris, le 15 mars 2019. (Yann Castanier/Hans Lucas.Libération)
publié le 23 juillet 2025 à 17h12
(mis à jour le 23 juillet 2025 à 19h18)

La lutte contre le changement climatique a un nouveau cadre juridique mondial. La Cour internationale de justice (CIJ), appelée à se prononcer sur les obligations légales des pays pour freiner la hausse des températures, a estimé à l’unanimité, ce mercredi 23 juillet, que le manquement d’un Etat aux obligations de protection du climat constitue «un fait internationalement illicite».

Les 15 juges de la CIJ avaient été chargés par les Nations unies de se pencher sur deux points. D’abord, déterminer, en vertu du droit international, les obligations des Etats à protéger le système climatique et l’environnement contre les émissions de gaz à effet de serre, afin de préserver les générations présentes et futures. Ensuite, la CIJ devait préciser les conséquences juridiques pour les Etats dont les émissions ont causé des dommages environnementaux ou des risques de dommages graves, en particulier envers les pays insulaires vulnérables. Pour y parvenir, la Cour a dû organiser les plus grandes audiences de son histoire, avec plus de 100 nations et associations prenant la parole en décembre 2024 au Palais de la paix, à La Haye, aux Pays-Bas.

Pour le juge Yuji Iwasawa, les Etats ont «des obligations strictes de protéger le système climatique». «La cour constate que les conséquences des changements climatiques sont graves et profondes. Elles affectent tant les écosystèmes naturels que les populations humaines», a-t-il souligné dans un long discours ce mercredi. La CIJ estime ainsi que la hausse des températures est une «menace urgente et existentielle».

Dans cet avis d’une centaine de pages, la cour rejette l’idée défendue par de nombreuses nations que les traités climatiques existants sont suffisants pour cadrer l’action climatique. «Cet avis recadre toutes les normes sur lesquelles on discute depuis toujours, comme les objectifs des 1,5° et 2 °C fixés par l’accord de Paris en 2015 qui n’avaient jamais été tranchés», explique à Libé Marta Torre-Schaub, directrice de recherche au CNRS et enseignante en droit de l’environnement à l’Université Paris 1 et à Sciences Po Paris. «La CIJ dit clairement que les Etats sont juridiquement contraints de respecter l’objectif de + 1,5 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle. C’est une décision très importante.» La spécialiste se dit «particulièrement ravie» de ces conclusions : «C’est exactement ce qu’on attendait.»

La cour affirme également que le réchauffement climatique peut compromettre les droits humains, dont le «droit à la vie, à la santé, à l’eau». «La CIJ dit que les obligations des pays à protéger l’environnement s’imprègnent de tout le droit international, des traités sur la couche d’ozone, sur la biodiversité, des conventions sur le droit de la mer et sur la désertification ainsi que des droits humains», détaille Marta Torre-Schaub. La plus haute juridiction de l’ONU a également confirmé que le climat devait être «protégé au nom de l’équité intergénérationelle pour les générations présentes et futures» – alors que les grands pays pollueurs refusaient de reconnaître les droits d’individus pas encore nés.

Un Etat peut désormais poursuivre d’autres Etats

Autre point saillant : les conséquences juridiques. «Puisqu’il y a contrainte, il y a responsabilité, rapporte Marta Torre-Schaub, et ça répond à une question que toute la communauté internationale se posait.» Désormais, si les pays violent leurs obligations de protéger l’environnement, alors les règles de la responsabilité internationale s’appliquent. Ainsi, un Etat pourra attaquer un autre Etat devant les tribunaux internationaux. Par exemple, une nation insulaire, en première ligne face à la montée des eaux et historiquement peu responsable de la crise climatique, pourra attaquer un autre pays qui ne régule pas les activités de ses entreprises privées ou accorde de nouveaux permis d’exploitation de combustibles fossiles.

Ces litiges pourront ouvrir la voie à des compensations pour les pays ravagés par les effets du réchauffement climatique, «sous forme de restitution, de compensation et de satisfaction», ont souligné les juges. La cour précise toutefois qu’un lien de causalité direct et certain doit être établi «entre le fait illicite et le préjudice», certes difficile à établir devant une juridiction mais «pas impossible» pour autant.

Selon certains experts, c’est l’affaire la plus importante jamais entendue par la Cour internationale de justice. Car cet avis, même s’il n’est que consultatif, influencera et remodèlera la justice climatique en inspirant des lois et les tribunaux dans le monde entier. Le Vanuatu, à l’origine de la procédure, a salué mercredi «un jalon historique pour le climat».

Mise à jour à 19 h 18 avec davantage de précisions et la réaction de Marta Torre-Schaub.