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Libération
Changement climatique

Le Venezuela tente vainement de sauver son dernier glacier avec du plastique

Pour sauver le dernier de ces cinq glaciers, le pays d’Amérique latine veut user de la géo-ingénierie. Un exemple typique de mal adaptation, estime la glaciologue Heïdi Sevestre, pour qui la communauté internationale a abandonné les glaciers tropicaux.
Cette photo prise en octobre 2023 et publiée en mars 2024 par l'ingénieur forestier et alpiniste vénézuélien Susana Rodriguez montre une vue du parc national de la Sierra Nevada de Mérida, dans la cordillère des Andes au Venezuela. (Susana Rodriguez /AFP)
publié le 6 mai 2024 à 18h00

Le dernier des «cinq aigles blanc» n’est plus. Ou presque plus. La Corona, un glacier du pic Humboldt situé dans les Andes vénézuéliennes, à 4 940 mètres d’altitude, est désormais réduit à une maigre étendue de glace, bien trop petite pour être considérée comme un glacier. La faute au réchauffement climatique, qui a triomphé sur les cinq glaciers que comptait le Venezuela. Ce pays d’Amérique latine devient ainsi la première nation de la cordillère des Andes à perdre toutes ses langues de glace, qui totalisaient pourtant 1 000 hectares il y a un siècle.

«Ce glacier tenait bon grâce à l’orientation de la montagne, assez ombragée», retrace pour Libé la glaciologue Heïdi Sevestre. Mais les températures records de ces dernières années auront eu raison du géant de glace. En Amérique du Sud, en Afrique de l’Est, en Océanie… Partout dans le monde, le recul des glaciers tropicaux, ces baromètres du climat, inquiète les scientifiques. «Pour les glaciers tropicaux, c’est couru d’avance, ils sont voués à disparaître. Nous sommes désormais dans une course contre la montre pour récolter le maximum d’informations et qu’on ne les oublie pas», explique la spécialiste. Pour elle, «la communauté internationale a abandonné ces glaciers car d’autres ont une importance économique, agricole ou énergétique plus grande».

Si les volumes d’eau relâchés lors de la saison sèche par les glaciers vénézuéliens étaient mineurs par rapport à ceux de l’Himalaya ou des Alpes, ils restaient essentiels aux écosystèmes en contrebas, riches d’une biodiversité unique. «Ces glaciers, parfois vénérés, ont aussi une dimension religieuse et culturelle très forte. Je n’ose pas imaginer ce que représente cette perte pour les communautés locales», déplore Heïdi Sevestre.

Géo-ingénierie

Pour freiner l’irrémédiable, le gouvernement du Venezuela a annoncé en décembre 2023 un projet de géo-ingénierie très décrié, avec des couvertures thermiques en polypropylène censées atténuer les rayons solaires sur la surface. Une technique très utilisée et efficace pour la protection des pistes de ski en Europe, en Chine ou en Russie mais «illusoire» et «absurde» en l’espèce, selon Julio César Centeno, professeur à l’Université des Andes et conseiller à la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, pour qui «on protège un glacier qui n’existe plus». De fait, les normes internationales exigent qu’un glacier mesure 10 hectares minimum pour être qualifié comme tel. Et La Corona, n’en fait plus que deux, sur les 450 hectares qu’il mesurait encore il y a 100 ans.

Pire, poser cette bâche blanche sur le glacier, «c’est courir le risque qu’elle se dégrade sous les rayons UV et à cause des conditions extrêmes à laquelle elle sera soumise, remarque Heïdi Sevestre. Et si elle se dégrade, elle plâtrera tout l’écosystème de microplastiques». Un cas typique de «mal adaptation», ces fausses solutions aux impacts plus négatifs que le problème initial. Car ces microplastiques «tomberont sur le sol, passeront dans l’eau, les cultures et l’air. Les gens finiront donc par les manger et les respirer», renchérit Julio César Centeno, aggravant un peu plus la pollution mondiale au plastique. Pour le zoologiste Enrique La Marca, cette couverture pourrait aussi entraver le développement des mousses et lichens qui colonisent la roche. «Cette vie va mourir parce qu’elle n’aura pas l’oxygène dont elle a besoin», prévient-il.

Quelque 35 rouleaux de polypropylène, longs de 80 mètres pour 2,75 mètres de largeur, ont d’ores et déjà été transportés par hélicoptère sur les glaciers du Venezuela fin 2023. Plusieurs scientifiques ont demandé à la Cour suprême du pays de suspendre le projet, qui, selon eux, n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact environnemental et n’a pas été soumis à une consultation publique, comme l’exige la loi.

Le glacier de la Corona, réduit à l’état de «crêpe de glace» incarne «le plus grand signal d’alarme qu’on puisse imaginer», estime Heïdi Sevestre. «Après ceux des tropiques, les prochains glaciers à disparaître seront les nôtres, dans les Alpes, et ceux de l’Himalaya. Là, on parle de deux milliards de personnes concernées. Le Venezuela, c’est loin, mais il est crucial de faire le lien avec nous, déroule la spécialiste. Car plus on investira dans les énergies fossiles, plus on perdra ces réserves d’eau, partout dans le monde. Et les conflits suivront».

Les estimations les plus optimistes donnent à ce «morceau de glace quatre à cinq ans», note Enrique La Marca. D’autres calculs ne lui donnent pas plus de deux ans. Pour Heïdi Sevestre, «tout ce que l’on sait, c’est que la fin de vie de nombreux glaciers est beaucoup plus rapide qu’on ne le pensait».