Le contraste est saisissant. Il y a un an, à la sortie de l’hiver, la carte de l’état des nappes en métropole se trouvait majoritairement recouverte d’orange et de jaune. Signe que les réserves d’eau étaient trop peu remplies. Cette année, la situation détaillée ce jeudi 14 mars par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) est bien plus favorable. En grande partie teintée de bleu, de la Bretagne au Pays basque, en passant par Lille et Strasbourg, la carte pour 2024 témoigne d’une recharge excédentaire sur une bonne partie du territoire.
Au final, début mars, selon l’organisme public chargé de leur surveillance, 46 % des nappes affichaient des niveaux au-dessus des normales mensuelles, contre 5 % à la même période l’an dernier. Et celles situées dans le Bassin parisien, en Normandie, dans le Massif central et en Provence-Alpes-Côte d’Azur frôlaient les normales, sauf exceptions locales. Globalement, l’hiver a été marqué dans le pays par un excédent de pluies de 10 %, selon Météo France, même si celles-ci ont été inégalement réparties en France. Depuis décembre, la recharge «a été très satisfaisante donc ça nous [rend] optimistes», a commenté en écho Violaine Bault, hydrogéologue au BRGM.
Seul un tiers des nappes demeure sous la normale, contre 80 % l’an dernier. Mais ces chiffres ne prennent pas en compte les récents épisodes méditerranéens et leur cortège de précipitations, notamment ceux qui ont touché le Gard le week-end dernier.
Situation contrastée
Parmi les réserves souterraines encore déficitaires, «des endroits nous inquiètent : une partie du pourtour méditerranéen, un petit bout de la vallée du Rhône et surtout ce territoire des Pyrénées-Orientales qui est dans une situation atypique et terrible», a souligné ce jeudi matin sur France Info le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. En métropole, 9 % de nappes affichent même des niveaux «très bas», dont celles du Roussillon, qui traversent les Pyrénées-Orientales. Les ressources sont historiquement faibles dans ce département, le plus sec de France à cause d’un manque abyssal de précipitations depuis trois ans. «Il n’y a eu aucune recharge depuis un an et demi», éclaire Violaine Bault, y compris cet hiver. Les quelques pluies récentes «ont été insuffisantes pour pénétrer en profondeur. Elles ont seulement servi à humidifier les sols très secs», ajoute l’experte. A cause de la pénurie d’or bleu dans les stocks souterrains, le BRGM alerte sur un «fort risque» d’intrusion d’eau de mer dans les nappes côtières et précise que tous les prélèvements d’eau potable ont été interdits sur le littoral des Pyrénées-Orientales.
A lire aussi
Plus largement, en Occitanie et jusqu’au sud du Massif central, l’état des nappes s’est dégradé en un mois : une grande zone passée de l’orange au rouge à cause du manque de pluies. Plus au nord, dans le couloir de la Saône, du Dijonnais jusqu’au nord de Lyon, ainsi que dans le sud de l’Alsace, les niveaux bas sont aussi jugés «préoccupants» par le BRGM.
«Vous avez des endroits aujourd’hui dans lesquels il y a trop d’eau, des endroits dans lesquels il n’y en a pas assez», a résumé Christophe Béchu. Le mois de février a été particulièrement contrasté en matière de précipitations, avec des trombes d’eau dans de nombreux départements et un temps presque estival sur l’arc méditerranéen. Un phénomène typique du changement climatique, qui accentue les extrêmes : tandis que les Pyrénées-Orientales restent assoiffées, le Pas-de-Calais, gorgé d’eau, a vu certaines nappes déborder, ce qui a prolongé les crues des rivières.
Des restrictions dans cinq départements
Actuellement, la majorité des nappes de la métropole continuent de se remplir. «Les tendances sont toujours à la hausse même si la recharge ralentit», a précisé Violaine Bault. Et d’ajouter que le phénomène «devrait se poursuivre en mars et avril, jusqu’à la reprise de la végétation [qui capte l’humidité pour pousser, ndlr] à condition qu’il y ait suffisamment de pluie».
Cependant, Météo France prévoit que les trois prochains mois seront plus chauds que la normale, ce qui pourrait vite assécher les sols et augmenter la demande en eau. A partir du printemps, les stocks repartiront à la baisse car ils alimenteront naturellement les rivières et seront pompés pour les activités humaines.
La vigilance reste donc de mise. Le BRM alerte sur un risque de sécheresse encore plus «sévère en 2024» dans le Languedoc-Roussillon s’il ne pleut pas dans les deux prochains mois. Des tensions sur la ressource seront également «probables» dans le couloir de la Saône. Pour anticiper, certains territoires ont déjà pris des mesures pour économiser la ressource en vue d’un été potentiellement compliqué. Selon le site VigiEau, cinq départements sont soumis à des restrictions d’usage à la sortie de l’hiver. Une grosse partie des Pyrénées-Orientales, où des limitations sont en cours depuis près de deux ans, reste classée en état de «crise» (le plus haut niveau), tout comme une portion de l’Aude et de l’Hérault. Le département de la Lozère est lui placé en «alerte», et plus au nord, une partie de l’Ain est en «alerte renforcée». Malgré des nappes dans le rouge, l’Aveyron n’a, lui, pas encore mis en place de mesures d’économie.