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L’IA réchauffe le climat : les émissions de carbone ont augmenté de 48 % en cinq ans chez Google

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Google a confirmé mardi dans un rapport que l’explosion des besoins en intelligence artificielle, et donc en puissance informatique, compromet ses efforts de réduction des émissions carbone, un problème auquel sont aussi confrontés ses rivaux Amazon et Microsoft.
La hausse de la consommation d’énergie dans les centres de données, les bâtiments abritant les serveurs informatiques particulièrement sollicités pour les nouveaux outils d’IA générative, entraîne une augmentation des émissions carbone de Google. (Jasmin Merdan/Getty Images)
publié le 3 juillet 2024 à 12h02

Les géants de la tech sont mal partis pour respecter leurs objectifs climatiques. Au lieu de baisser, leurs émissions explosent à cause du développement de l’intelligence artificielle. Dans son rapport environnemental annuel publié ce mardi 2 juillet 2024, Google admet : «A mesure que nous intégrons l’IA dans nos produits, la réduction des émissions pourrait s’avérer difficile». En 2023, le géant de la recherche en ligne a vu ses émissions de gaz à effet de serre atteindre 14,3 millions de tonnes de CO2, soit une augmentation de 48 % par rapport à 2019, son année de référence.

Besoins accrus en énergie

Ces chiffres s’expliquent par une hausse de la consommation d’énergie dans ses centres de données, les bâtiments abritant les serveurs informatiques qui constituent l’épine dorsale du cloud, et donc des sites web, applications mobiles, services en ligne, et tous les nouveaux outils d’IA générative comme ChatGPT. Le groupe californien cite plus précisément les besoins accrus en énergie, car l’IA nécessite plus de puissance informatique, ainsi que les émissions liées à ses investissements dans l’infrastructure, c’est-à-dire la construction de nouveaux centres de données ou la modernisation de ceux existants. Un impact environnemental invisible pour les utilisateurs.

De quoi assombrir les perspectives de décarbonation. Google s’est engagé à parvenir à des émissions nettes nulles dans l’ensemble de ses activités d’ici à 2030. Microsoft, numéro deux mondial du cloud, s’est donné pour objectif un bilan carbone négatif d’ici 2030 aussi mais ses émissions ont augmenté de 29 % en 2023 par rapport à 2020. Quant à Amazon, leader mondial du cloud grâce à AWS, sa branche dédiée, il n’envisage pas la neutralité carbone avant 2040. Sa principale activité reste la vente en ligne qui nécessite des entrepôts et centres logistiques partout dans le monde.

Les trois géants américains mettent en avant leurs efforts pour réduire le gaspillage et remplacer l’eau qu’ils consomment (pour refroidir les serveurs), ainsi que leurs investissements en énergie renouvelable et dans les technologies émergentes de captage et stockage du CO2 déjà présent d’ans l’atmosphère. Mais le succès de l’IA générative, popularisée par ChatGPT (mis au point par OpenAI, dont le principal investisseur est Microsoft), risque de remettre en cause leurs progrès.

«Parfois, il vaut mieux ne pas innover»

L’IA, très lucrative, peut dans certains cas avoir des vrais avantages écologiques. Elle permet par exemple d’optimiser la consommation d’énergie. Mais les entreprises qui les développent assurent aussi qu’elles vont aider à trouver de nouvelles solutions au réchauffement climatique. De nombreux chercheurs avertissent que la technologie n’est pas la solution miracle, et qu’au contraire son développement peut accentuer le problème. «Les technologies numériques contribuent à la décarbonation seulement si elles sont gouvernées correctement», écrivent d’ailleurs les auteurs du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

Anne-Laure Ligozat, professeure à l’Ecole nationale supérieure d’informatique pour l’industrie et l’entreprise (Ensiie) regrettait récemment auprès de Libération des failles dans le calcul des émissions de l’AI, qui pourraient être encore plus élevées. Elle ajoutait : «quand un industriel veut mettre un produit sur le marché, il devrait être obligé de démontrer qu’il n’a pas un impact négatif pour le climat». Hugues Ferreboeuf, chef de travail numérique du think tank The Shift Project, regrettait de son côté un manque de réflexion sur les types usages de l’IA pertinents dans le contexte du changement climatique : «Actuellement, nos choix s’alignent sur ce que la technologie nous dit qu’elle peut faire plutôt que sur ce dont nous avons besoin pour sauver la planète», regrette-t-il. Et d’ajouter : «Parfois il vaut mieux ne pas innover plutôt qu’innover de façon délétère.»

Mais les géants de la tech ne semblent pas vouloir lever le pied. Cette année, le groupe de Windows a annoncé plus de 15 milliards de dollars d’investissements dans l’IA à l’étranger, de l’Allemagne à la France au Japon et à l’Indonésie, notamment pour construire de nouveaux centres de données adaptés et financer les infrastructures énergétiques nécessaires.