Menu
Libération
Inquiétudes

Pfas, fast-fashion… Après la dissolution, l’avenir incertain des lois en faveur de l’environnement

Les agriculteurs en colèredossier
La nouvelle composition de l’Assemblée nationale sera décisive pour le futur climatique du pays. Certaines lois, en passe d’être votées avant la dissolution prononcée par Emmanuel Macron, pourraient ne jamais voir le jour en cas de victoire du Rassemblement national.
Manifestation à l'appel de Fridays for Future France, la jeunesse défile pour le climat, en mars 2023. (Eric Broncard/Hans Lucas via AFP)
publié le 17 juin 2024 à 17h16

Lorsque les scientifiques parlent climat, ils rappellent souvent qu’il y a «urgence». Urgence à légiférer pour tenter d’enrayer le déclin de la biodiversité, arrêter de polluer, préserver notre santé. En provoquant la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, Emmanuel Macron a donné un sacré coup d’arrêt dans la promulgation de plusieurs lois en faveur du climat. La navette parlementaire restera figée jusqu’à la fin des élections législatives, dont les résultats détermineront le sort réservé à l’environnement en France. «Si Jordan Bardella accède à Matignon, on vivra un recul terrible et inédit sur toutes les politiques climatiques», présume à Libération le député sortant écologiste Nicolas Thierry, dont le mandat, à l’instar des 576 autres parlementaires, s’est brusquement terminé avec la dissolution.

«Si je suis réélu, ma priorité sera d’aller au bout du processus de la proposition de loi sur les PFAS», assure l’élu girondin au bout du fil. Nicolas Thierry y était presque. Pour faire de la réglementation des polluants éternels une évidence, il aura fallu au parlementaire plus d’un an de pression médiatique. Jusqu’à l’adoption à l’unanimité de son texte à l’Assemblée nationale le 4 avril - avec l’abstention de la droite et de l’extrême droite - et au Sénat, le 30 mai. «On a eu chaud, souffle Nicolas Thierry. Si la loi avait été programmée en juin au Sénat, c’était mort.» D’après l’ex-député, candidat pour sa réélection dans la deuxième circonscription de la Gironde, sa proposition de loi (PPL) «fait partie, a priori, des textes qui n’ont pas été anéantis par la dissolution. Lors de la mise en place de la nouvelle Assemblée nationale, le Sénat va étudier en priorité toutes les PPL qui doivent finir» leur parcours législatif.

Incertitude

C’est également le cas de la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile - surnommée loi «fast fashion». La députée sortante Horizons Anne-Cécile Violland, porteuse du texte, estime qu’il «a toutes ses chances de pouvoir poursuivre la navette parlementaire». La loi fait l’objet d’une procédure accélérée, nécessitant une seule lecture par chambre : un vote à l’Assemblée nationale - c’est chose faite - et un vote au Sénat, qui devait tomber «avant l’été». Quels que soient les résultats des élections législatives, «l’équilibre du Sénat sera inchangé donc je suis plutôt confiante pour son adoption», puis sa promulgation, se réjouit Anne-Cécile Violland, qui n’a qu’une hâte : «Sortir de ce marasme» afin de se remettre au travail.

D’autres propositions de lois n’auront pas cette chance. La volonté des écologistes d’instaurer un prix minimal d’achat des produits agricoles, qui aurait permis une plus juste rémunération des agriculteurs, patauge dans l’incertitude. «La loi était en suspens» depuis son adoption par l’Assemblée nationale le 4 avril, rappelle l’ancienne élue écologiste Marie Pochon, qui a porté le texte face à la majorité présidentielle. «Les députés [Renaissance] insistaient sur le fait qu’il fallait prendre du temps, discuter. Visiblement, ce qui aura été plus urgent pour eux, c’est de donner le pouvoir au Rassemblement national», ne peut-elle s’empêcher de lancer, la dissolution en travers de la gorge et la perspective d’un gouvernement d’extrême droite en cauchemar. Le Sénat n’aura pas eu le temps de légiférer à ce sujet, ni de ratifier l’accord sur la protection de la haute mer, désormais en eaux troubles. Ce projet de loi adopté à l’Assemblée nationale le 29 mai, défendu par Hervé Berville, secrétaire d’Etat chargé de la Mer, et Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères, aurait permis à la France de devenir le premier signataire européen. «On verra, peut-être que ce sera le cas, ne désespère pas une source diplomatique contactée par Libération. Le plus important, c’est que ce soit fait.»

Rien n’est moins sûr. Si l’extrême droite rafle autant de voix aux législatives qu’elle ne l’a fait durant les élections européennes, le pire est à craindre. Car l’aversion du Rassemblement national pour l’écologie est de notoriété publique. Le 21 août 2023, l’ex député RN Thomas Ménagé affirmait même, sans sourciller : «Nous ne pouvons pas nous baser uniquement sur les données du Giec […]. Ils ont parfois tendance à exagérer.» Omettant le fait que le Giec ne produit pas de données mais rassemble les connaissances issues du consensus scientifique. Le Rassemblement national possède bien, pour sa part, des tendances climatosceptiques. De quoi inquiéter les partis de tous bords, de la gauche au centre-droit, en passant par le gouvernement. «Sur l’environnement, le danger est grand. Ce qu’a fait le RN ces dernières années au parlement européen, et même à l’Assemblée, va à l’encontre de la protection de nos concitoyens face aux risques climatiques et environnementaux avérés», met-on en garde côté diplomatie.

«Au Rassemblement national, l’environnement, ça leur passe au-dessus !», s’emporte Marie Pochon, inquiète du «front anti-écologiste qui est en train de se nouer». Elus, scientifiques, citoyens… Pour eux, une période sombre s’abattra sur le climat en cas d’une victoire du Rassemblement national le 7 juillet. Nicolas Thierry temporise. «Nous sommes dans une période crépusculaire, car il y a encore un petit espoir.»