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Libération
Prise de conscience

Pilote de ligne, il démissionne face à «l’ampleur de la catastrophe climatique»

Yann Woodcock, la trentaine, assure avoir quitté son poste de pilote chez la compagnie aérienne Swiss pour des raisons écologiques. Dans une lettre postée sur les réseaux sociaux, il explique sa décision.
Pilote de ligne depuis presque 13 ans chez Swiss, une compagnie aérienne suisse, Yann Woodcock a décidé de quitter son poste avec fracas. (Fabrice Coffrini/AFP)
publié le 3 mai 2024 à 19h24

Il a compris l’urgence, il a décidé d’agir, et radicalement. Yann Woodcock, pilote de ligne depuis presque 13 ans chez Swiss, une compagnie aérienne suisse, a décidé de quitter son poste avec fracas. Dans une longue lettre postée sur le réseau social LinkedIn le 1er mai, il justifie son choix par «l’ampleur de la catastrophe climatique et de l’effondrement du vivant» et revient, avec force d’arguments, sur les raisons qui l’ont poussé à entreprendre ce changement de voie.

«Alors que beaucoup croient en la possibilité d’éviter le naufrage par des ajustements superficiels, les faits scientifiques réclament des changements drastiques dans nos modes de vie, écrit-il. Ainsi, je ne souhaite plus être partie prenante d’une industrie contribuant de manière significative au problème.» Il rappelle que l’aviation émet l’équivalent de 4 % à 6 % des émissions de gaz à effet de serres mondiales, causées «par une minorité» puisque seulement 11 % de la population mondiale prend l’avion.

«La réduction des vols doit être massive»

Bien conscient que les «réflexions sur les reconversions professionnelles doivent s’effectuer collectivement», Yann Woodcock demande que sa décision ne soit pas «interprétée comme un appel à la responsabilité individuelle». «Même en adoptant un mode de vie irréprochable, une personne n’arriverait que difficilement à faire baisser son empreinte carbone de plus de 20 à 30 %», précise-t-il, comme l’a démontré une étude du cabinet de conseil Carbone 4. «C’est notre système économique basé sur la surconsommation (dont les trajets en avion font partie), sur la croissance infinie et sur la maximisation des profits qui doit être repensé entièrement», plaide-t-il encore.

Réaliste, l’ex-pilote reconnaît que «nous aurons toujours besoin de l’aviation, mais la réduction des vols doit être massive». Alors que chaque citoyen dispose d’un budget annuel d’émission de gaz à effet de serre d’environ 2 tonnes d’équivalent CO2 pour respecter l’accord de Paris, et donc limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, un vol aller-retour Genève-New York épuise déjà l’entièreté de cette enveloppe carbonée.

Yann Woodcock se demande également si une société avec moins de déplacements serait si terrible. «Il est souvent avancé que sans l’aviation, les sociétés se replieraient sur elles-mêmes. Certes, la possibilité de se déplacer aisément à l’échelle mondiale a parfois permis à une minorité globe-trotteuse de s’ouvrir au monde et d’apprendre à connaître d’autres cultures, mais je pense qu’il est faux de prétendre que le déplacement à l’autre bout du monde en avion équivaut forcément au voyage». Et d’interroger le poids de l’industrie du tourisme et des réseaux sociaux «dans la création artificielle d’un nouveau besoin de déplacements aériens qui n’existait pas encore il y a quelques années /décennies».

Limiter chaque citoyen à quatre vols long-courriers dans sa vie

Et de poursuivre, «ne vaut-il pas mieux réellement voyager quatre fois dans sa vie plutôt que de se déplacer chaque année ?», en référence à la proposition «volontairement provocatrice» mais «lucide» de Jean-Marc Jancovici de limiter chaque citoyen à quatre vols long-courriers dans sa vie. Enfin, il balaie les arguments techno-solutionnistes, qui affirment, à l’encontre de toute vérité scientifique, que les carburants de synthèse et l’hydrogène nous permettront de continuer à prendre l’avion et poursuivre le «business as usual».


Ces solutions, détaille-t-il, «ne seront pas prêtes à large échelle avant que l’on n’atteigne les points de non-retour en matière de réchauffement» et nécessitent «une quantité astronomique d’énergie pour leur production», plus utile dans d’autres domaines de la transition. Finalement, Yann Woodcock appelle de ses vœux, «un monde plus sobre, plus résiliant, plus solidaire, plus juste, plus joyeux… plus humain». Naïveté ou besoin d’espoir ? L’ex-pilote a décidé de se reconvertir dans le droit, et d’utiliser ses compétences pour continuer son «combat pour un monde plus juste». Sa démission lui permettra, dit-il, «d’être plus en accord avec moi-même, avec les politiques que je défends et avec les alertes des scientifiques».