Depuis la fenêtre de son logement dans le centre de Valence, Angel Luis, 46 ans, a vu le lit de la rivière Túria, «asséché depuis des années et transformé en coulée verte pour promeneurs», charrier une quantité d’eau inimaginable. Nuria, une autre habitante de la ville, 32 ans, raconte à Libération avoir aperçu mardi soir «des SDF errer, chassés de leur abri par la pluie. Ils étaient au moins 300. D’autres personnes étaient en pyjama après avoir fui de chez eux en courant». Elle a vu aussi «des sauveteurs extirper des personnes prisonnières de leur véhicule renversé ou pris dans les eaux».
Entre mardi et mercredi, la population de la troisième ville d’Espagne (800 000 habitants) et de sa province (plus de 5 millions au total) a vécu une nuit d’épouvante, après des pluies torrentielles qui ont fait déborder rivières et égouts. Le bilan s’est aggravé d’heure en heure mercredi : il s’élevait à 95 morts à 19 heures, dont 2 dans la région voisine de Castille-La Manche. Alors que les secours n’avaient toujours pas pu se rendre dans plusieurs villages, les disparus se comptaient par dizaines. La maire de Paiporta (dans la Communauté valencienne) annonçait en début de soirée 34 morts dans sa commune de 25 000 habitants.
Automobilistes piégés après leur journée de travail
Mercredi soir, les axes de communication entre Valence et le reste de l’Espagne – autoroutes, trafics ferroviaire et aérien – restaient presque tous coupés. Mardi, la pluie qui tombait sans discontinuer depuis la nuit précédente a fait déborder les rivières dès le milieu de l’après-midi. De nombreux automobilistes ont été piégés alors qu’ils rentraient chez eux après leur journée de travail.
Miguel, chauffeur routier, a témoigné au micro de la radio régionale : «J’ai été bloqué sur l’autoroute au sud de Valence. Tous les camionneurs étaient immobilisés, leurs véhicules renversés. J’ai sauvé des collègues. Ensuite, avec d’autres, on est allés chercher des enfants réfugiés sur des toits au bord de la route. On était à hauteur du parc naturel de la Albufera, là où on cultive le riz pour la paella. C’était comme une vraie mer.»
Le Premier ministre, Pedro Sánchez, tout juste rentré d’une visite officielle en Inde, a averti que cet épisode «dévastateur» n’était peut-être pas terminé. «Nous ne vous laisserons pas seuls», a-t-il déclaré dans une brève allocution télévisée peu avant midi depuis le palais de la Moncloa à Madrid, demandant aux habitants de rester vigilants. Auparavant, le roi Felipe VI s’était dit «accablé par les dernières nouvelles». «Nos plus sincères condoléances aux familles et aux proches […]. Force, courage et tout le soutien nécessaire aux intéressés», a ajouté le monarque dans un message sur le réseau social X.
Desolados ante las últimas noticias sobre la DANA. Nuestro más sentido pésame a los familiares y allegados de los más de 50 fallecidos.
— Casa de S.M. el Rey (@CasaReal) October 30, 2024
Fuerza, ánimo y todo el apoyo necesario para todos los afectados.
Nuestro mensaje más cercano y reconocimiento a autoridades locales y…
«Solidarité» et «disponibilité» de la France
De son côté, Emmanuel Macron a exprimé la «solidarité» et la «disponibilité» de la France pour déployer les moyens «jugés utiles par les secouristes sur place». Ces inondations «nous touchent très profondément», a déclaré le Président en marge d’une visite d’Etat au Maroc. «On a mis à disposition des aides en termes de sécurité civile, de secours, et on fera tout ce qui sera jugé utile», a-t-il précisé.
Comment expliquer un tel bilan après un phénomène climatique connu et attendu ? L’Aemet, équivalent espagnol de Météo France, annonçait depuis plusieurs jours l’arrivée d’une «dana», acronyme de «dépression isolée en haute altitude». Mardi, à 7h30, les météorologues ont transformé l’alerte orange en alerte rouge, le niveau le plus élevé. Mais le gouvernement de la région valencienne n’a activé qu’à 20h03 le protocole baptisé ES-Alert, qui envoie un message à tous les usagers de téléphones portables, accompagné d’une sonnerie stridente. A cette heure-là, beaucoup étaient déjà inondés ou dans l’incapacité de rentrer chez eux.
Une prise de conscience plus rapide aurait permis la fermeture anticipée des lieux de travail et des commerces. Mais faute de directive officielle, les commerces ont respecté leurs horaires habituels. Nombre de clients bloqués ont passé la nuit dans des magasins, comme Ikea ou Alcampo (du groupe Auchan), qui ont même servi de centres de secours pour les sinistrés des environs. Des entreprises ont gardé leurs employés jusqu’au matin.
Une unité d’intervention supprimée par la droite
Des institutions ont cependant pris des mesures de précaution sans attendre de consignes : c’est le cas de l’université de Valence qui a suspendu les cours en début d’après-midi et prié étudiants et enseignants de rentrer chez eux, redoutant des difficultés de circulation. La Generalitat valenciana (gouvernement de la région autonome qui rassemble les provinces de Valence, Castellón et Alicante), dirigée par une alliance entre le Parti populaire (PP) et Vox (extrême droite), va devoir répondre aux accusations de négligence. L’exécutif a expliqué mercredi sa réaction tardive par la «nécessité de coordonner les actions».
A son arrivée au pouvoir en juillet 2023, le président régional, Carlos Mazón, avait pris la décision de supprimer une unité d’intervention d’urgence créée quelques mois plus tôt par son prédécesseur socialiste. Il y voyait un simple «moyen de distribuer des salaires à des pistonnés», l’accusation courante de la droite espagnole pour disqualifier les emplois publics. L’élimination de ce service avait déjà été déplorée en février, après l’incendie d’un édifice en plein Valence qui avait coûté la vie à dix personnes.
Reportage
Mercredi, les pluies s’éloignaient de la région de Valence pour se concentrer sur l’Andalousie, où un passage à l’alerte orange dans les provinces de Málaga et de Cadix n’était pas exclu, avec des prévisions de 60 litres d’eau par mètre carré sur douze heures. A Valence, la quantité d’eau a dépassé les 80 litres. Mais dans l’extrême sud de la péninsule, les leçons du drame ont été tirées et les mesures de précaution mises en place.
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