Sécheresse, canicule marine, ouragan, inondation… les conséquences d’El Niño dans l’océan et les terres sont bien connues, mais qu’en est-il du littoral ? Une dizaine de chercheurs se sont penchés sur la question dans le cadre d’une étude inédite menée par plusieurs organismes de recherche français et étrangers, dont l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le CNRS et le Centre national d’études spatiales, publiée ce lundi 12 juin dans la revue Nature Communications. Ces derniers soulignent notamment l’influence du phénomène climatique et océanographique El Niño sur les côtes, à l’échelle mondiale.
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«L’enfant terrible du Pacifique», comme on le surnomme, est un phénomène naturel sur lequel l’homme n’a pas la main. Il se caractérise par le réchauffement d’un immense réservoir d’eau superficielle qui s’étend du Pacifique central jusqu’aux côtes du Pérou et de l’Equateur, et se produit en moyenne tous les trois à sept ans pendant neuf à douze mois. El Nino fonctionne en alternance avec son opposé, La Niña, responsable d’un refroidissement des eaux de surface du Pacifique équatorial. A eux deux, ils forment le cycle Enso, qui provoque des variations de température étroitement corrélées avec d’importantes fluctuations du climat observées à l’échelle globale. Surveillé de près par les climatologues du monde entier en raison de la hausse des températures et des événements extrêmes qu’il provoque, El Niño vient justement de débuter et devrait «se renforcer graduellement» dans les mois à venir, selon l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique.
«Outil de prévision»
L’étude publiée ce lundi tombe donc à point nommé. «Nous avons essayé de comprendre l’évolution du trait de côte, qui est lui-même influencé par trois facteurs dominants : le niveau de la mer, les vagues océaniques et les rivières d’où provient le sable. C’est une première mondiale qui a notamment été rendue possible grâce à l’utilisation de données satellites. On n’avait jamais observé les traits de côtes à cette échelle avec des données remontant sur presque quarante ans, explique Rafaël Almar, directeur de recherche à l’IRD, auteur principal de l’étude et spécialiste des risques littoraux. On voit souvent El Niño comme un mode climatique essentiellement régional pacifique. En réalité, il a une influence globale prépondérante sur les côtes du monde entier.»
Les résultats de l’étude fournissent ainsi un nouveau cadre permettant aux chercheurs de faire des prévisions concernant l’impact du prochain El Niño sur les littoraux. «Par exemple, sur la côte ouest américaine, il y aura très probablement une érosion assez marquée. A d’autres endroits, on observera au contraire un engraissement des plages, détaille Rafaël Almar, qui a mené ses recherches au sein du Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales à l’Université de Toulouse. Il faudra faire des modèles plus détaillés localement pour être plus précis. Mais ça nous donne déjà un aperçu global des “hot spot” vulnérables pendant l’hiver à venir afin d’anticiper les risques et de s’adapter. Les assurances sont friandes de ces données pour savoir quelles régions ont des risques côtiers d’inondations et d’érosion. Idem du côté des Nations unies.»
Cocktail explosif
Si El Niño s’avère avoir un impact important sur les côtes, il est toutefois loin d’être le seul facteur de changement à prendre en compte. «L’emprise humaine via l’urbanisation des sols et l’affaissement des sols (subsidence) a un impact énorme qui se conjugue aux processus naturels étudiés dans cet article», pointe le chercheur. Et de citer l’exemple de Jakarta «qui s’est effondrée de six mètres sur quelques décennies à cause du pompage des nappes phréatiques et du poids des immeubles», poussant l’Indonésie à relocaliser sa capitale politique sur une autre île ou encore les constructions de barrages sur les rivières qui engendrent des déficits sédimentaires sur les plages. Sans oublier le réchauffement climatique qui érode déjà les côtes françaises. En additionnant tous ces éléments, on obtient un cocktail explosif pour les littoraux.
«Il faut retenir que les littoraux ne sont pas figés, ce sont des environnements vivants qui évoluent naturellement. On n’a pas assez pris en considération cette variabilité, insiste Rafaël Almar. Prenez la côte occitane. Des villes ont été construites dans les années 60, comme Palavas-les-Flots ou encore Le Grau-du-Roi. On a tout bétonné, et maintenant on doit faire face à des risques d’inondation, de submersion. C’est comme si vous habitiez à côté d’un volcan et qu’on se rendait compte du problème seulement une fois que le volcan entre en éruption. On peut dire la même chose de la côte girondine avec Lacanau plage, Biscarrosse plage, etc. L’attractivité des littoraux sur les dernières décennies a engendré des constructions sur des zones dangereuses et très mobiles. On a sous-estimé les risques. Mais à l’époque on n’avait pas de moyen d’observation pour les anticiper. Maintenant on les a.»