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Libération
Décryptage

Radiographie d’une terrible saison de feux

De la Grèce à l’Ouest américain et jusqu’en Arctique, la Terre flambe. A cause du réchauffement climatique, les feux deviennent des événements extrêmes de plus en plus difficiles à maîtriser.
A Oroville, en Californie le 2 juillet, des chèvres domestiques au milieu des incendies. (Josh Edelson /AFP)
publié le 11 juillet 2024 à 7h30

Des terres nécrosées et des forêts entières réduites en cendre. En Amazonie, aux Etats-Unis, au Canada, en Grèce, en Albanie, en Turquie et jusqu’aux latitudes polaires de Sibérie… Des dizaines de milliers de personnes évacuées. Plus d’une dizaine de morts déjà recensés. Des centaines d’animaux, chèvres, singes, oiseaux, retrouvés sans vie. Depuis plusieurs semaines, les vagues de chaleur extrême qui s’abattent un peu partout sur la planète sont pour certaines associées à des incendies dévastateurs.

En Grèce, un feu né mardi à Patras (troisième plus grande ville du pays) a entraîné l’évacuation d’un hôpital pour enfants. Il y a quelques semaines, la région d’Athènes et l’île de Chios avaient été prises par les flammes. En début de semaine, le porte-parole du gouvernement, Pavlos Marinákis, indiquait que le mois de juin avait été marqué par «deux fois plus» d’incendies que celui de l’an passé, avec déjà 1 281 feux répertoriés (9 800 hectares), contre 533 en 2023. La Grèce subit la saison des feux «la plus difficile de ces vingt dernières années», a également averti le ministre de la protection civile et de la crise climatique, Vassilíos Kikílias.

Le mois de juin le plus chaud de l’histoire

Lundi, c’était l’Albanie voisine qui brûlait. Avant elle, la Turquie et Chypre. Il y a une quinzaine de jours, quinze personnes sont décédées dans un incendie dans le Sud-Est turc, alors que le thermomètre affichait plus de 40 °C pendant la journée. A peine une semaine plus tôt, à Chypre, un plan d’urgence national avait dû être activé, cinq villages évacués et des bombardiers d’eau (venus de Grèce et de Jordanie) être déployés. Là encore, l’île croulait sous une température de plus de 40 °C.

La Terre rougeoie et ces foyers démontrent, une nouvelle fois, les répercussions et la force du réchauffement climatique, qui n’épargnera rien. Les scientifiques sont formels : le nombre et l’intensité des incendies sont en hausse. Selon une récente étude parue dans la revue Nature Ecology & Evolution, les feux ont plus que doublé en moyenne à travers le monde au cours de ces vingt dernières années. Dans les forêts boréales du nord de l’Europe et des vastes étendues du Canada, ils ont été multipliés par sept. Dans les forêts de conifères tempérées de Méditerranée ou de l’ouest des Etats-Unis, par dix.

Sur le pourtour méditerranéen et en Amérique du Nord, justement, le thermomètre affiche ces derniers jours jusqu’à 45 °C, voire 50 °C. Après un mois de juin qui a été reconnu par le service européen Copernicus comme le mois de juin le plus chaud jamais enregistré à l’échelle mondiale. Combinée à des situations de sécheresse dans plusieurs régions du monde, la flambée du mercure fournit les conditions optimales pour la prolifération des incendies.

«C’est le cocktail explosif, insiste Julien Ruffault, spécialiste du lien entre changement climatique et feux de forêt à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Le manque de précipitation et la chaleur dans l’atmosphère sont en train de rendre la végétation de plus en plus sèche. Ce qui favorise l’émergence des incendies et augmente leur énergie. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des feux de forêt surpuissants, qui s’auto-entretiennent, beaucoup plus erratiques dans leur comportement, avec des fronts de flamme d’une intensité exceptionnelle. Ils sont en train de devenir des évènements extrêmes de plus en plus difficiles à maîtriser.»

L’ouest des Etats-Unis en première ligne

De l’autre côté de l’Atlantique, l’ouest des Etats-Unis est lui aussi en première ligne. Victimes depuis quelques jours d’une vague de chaleur «extrêmement dangereuse» pour la santé, selon le National Weather Service (service de météorologie nationale), plusieurs Etats voient les départs de feux se multiplier. En Californie, une dizaine d’incendies actifs sont actuellement recensés par les services de la Nasa. Dans le Nevada, l’Utah et l’Oregon, les flammes ravagent des hectares de terre et les habitants, épuisés par les chaleurs, sont obligés de quitter leur maison. Au Canada, ce sont les provinces occidentales de l’Alberta et de la Colombie-Britannique qui connaissent le même sort.

Les terres arctiques ne sont pas non plus épargnées. A l’heure actuelle, des flammes détruisent des secteurs entiers de la république russe de Sakha, au nord-est de la Sibérie, mais aussi des régions voisines de l’Oblast d’Amur et du Kraï de Zabaykalsky. «Ces territoires connaissent des conditions bien plus sèches que la normale pour cette période de l’année, et des températures de l’air en surface bien supérieures, jusqu’à près de + 8°C», développe Mark Parrington, scientifique au service de surveillance de l’atmosphère de Copernicus. «L’augmentation des incendies de forêt en Sibérie est un signe clair que ce système essentiel s’approche de points de basculement climatiques dangereux», alerte même Gail Whiteman, professeure à l’université britannique d’Exeter et fondatrice de l’organisation de vulgarisation scientifique «Arctic Basecamp».

Selon les travaux menés par Mark Parrington et son équipe, les émissions de CO2 provenant de ces incendies se sont élevées à 6,8 millions de tonnes au mois de juin sur l’ensemble du cercle polaire. Ce qui en fait le troisième mois le plus nocif et délétère de ces vingt dernières années dans le secteur arctique, derrière les saisons des feux 2019 et 2020, qui avaient enregistré respectivement 16,3 et 13,8 millions de tonnes de CO2. Ces émissions libérées dans l’atmosphère participent au réchauffement de la planète, qui lui-même joue un rôle majeur dans l’avènement d’incendies… «Outre le carbone rejeté, la pollution qui compose les fumées des incendies est préoccupante, relève le chercheur de Copernicus. D’une part, cela peut entraîner une mauvaise qualité de l’air pour les populations, et nous avons constaté que les fumées se déplaçaient jusqu’au nord-est de la Chine. D’autre part, le dépôt de suie sur la glace de mer de l’Arctique pourrait accélérer la fonte de celle-ci.»