C’est l’été au printemps, le mois d’août en juin. Des orages à répétition dans le Sud, 31 °C degrés à Lille lundi, un incendie dans les Vosges mardi… Un an tout juste après la première canicule de 2022, le thermomètre grimpe à nouveau en France. Côté littoral, le golfe de Gascogne et la Méditerranée sont en surchauffe, avec des anomalies de température comprises entre +3 °C et +5 °C par rapport aux normales. Sur le continent, pas de vague de chaleur ni de pics à plus de 40 °C comme en 2022, mais des températures inhabituellement hautes qui s’éternisent. A l’échelle de l’Hexagone, la situation est «digne d’une fin de mois de juillet voire d’un début d’août», explique Simon Mittelberger, climatologue à Météo France. La chaleur pourrait encore grimper la semaine prochaine. Pour l’heure, elle est surtout «remarquable» dans la partie nord du pays, dépassant localement de dix degrés les normales de saison. Un phénomène pas si étonnant dans un climat déréglé. «Avec le changement climatique, les températures s’orientent de plus en plus à la hausse, et pas que l’été mais aussi durant la saison printanière», relève Simon Mittelberger.
En prime, la géographie est sens dessus dessous. «Les villes de la moitié nord sont plus chaudes que celles de la moitié sud depuis plusieurs jours», note Météo-France dans son dernier bulletin. Lille a atteint 32,4 °C le 11 juin et détient pour l’heure le record national de chaleur en 2023. Plus torrides que d’ordinaire, les nuits n’y sont néanmoins pas tropicales – il faudrait pour cela que la température ne redescende pas au-dessous de 20 °C. Dans le Doubs, Besançon a battu lundi le record de dix-huit jours consécutifs avec une température supérieure à 25 °C et la série pourrait encore durer jusqu’à la fin de la semaine. Dimanche, Strasbourg et Metz devraient être les villes les plus chaudes de France avec 30 °C. Cette situation s’explique par la persistance d’un anticyclone au nord des îles britanniques qui empêche depuis une quinzaine de jours les pluies de gagner la partie septentrionale de l’Hexagone, favorisant le beau temps sur cette zone. Le Sud se trouve, lui, sous l’influence d’un marais barométrique, phénomène fréquent au printemps qui favorise les orages.
«Amélioration relative»
Résultat : la France est coupée en deux. Sur les cartes de Météo France recensant les précipitations tombées le mois dernier, la partie nord du pays, largement déficitaire en pluie, figure en rouge. Paris n’a ainsi pas connu d’averse significative du 16 mai au 10 juin, soit vingt-six jours d’affilée, tout comme Strasbourg, engluée dans une série inédite de trente-cinq jours sans une goutte d’eau, qui devrait persister jusqu’à dimanche. A l’inverse, la moitié sud a été bien arrosée depuis mi-mai, dans un retournement de tendance. Les sols, particulièrement secs à la sortie de l’hiver, ont donc retrouvé de l’humidité, notamment dans la région Paca. La situation reste cependant critique sur le pourtour méditerranéen – les Pyrénées-Orientales conservent leur titre de département le plus aride, avec un état des sols digne d’un début de mois de juillet. «L’amélioration reste relative, il ne s’agit pas d’un retour à la normale», précise Simon Mittelberger. Il relève enfin un «assèchement intense dans le nord-est» du pays, où la courbe d’humidité des sols, qui était pourtant bien remontée, a replongé sous les normales en l’espace d’un mois. En cause, les fortes chaleurs et la persistance d’un vent d’Est.
Des conditions qui favorisent l’embrasement de la végétation dans des zones d’habitude épargnées. En début de semaine, Météo France avait placé la Meurthe-et-Moselle et la Meuse en vigilance orange, ce qui correspond à un risque «élevé», tandis qu’un large quart nord-est (Grand Est, Hauts-de-France, une partie de l’Ile-de-France) ainsi que les Bouches-du-Rhône ont été classés jeudi en «danger modéré». Un incendie s’est d’ailleurs déclaré mardi dans le département des Vosges.
Nappes phréatiques basses
Sous terre, les ressources en eau restent insuffisantes. Après une année de sécheresse historique en 2022, l’hiver a été très sec – or c’est lors de cette saison cruciale que les nappes reconstituent leurs stocks en eau. Avec l’arrivée du printemps, le retour d’une végétation luxuriante a capté les pluies sans permettre une infiltration massive dans le sous-sol, tandis que la hausse du thermomètre a favorisé l’évaporation. C’est pourquoi, malgré des précipitations globalement dans la norme ces trois derniers mois et une illusion d’abondance, les deux tiers des nappes du pays sont encore sous les normales. La tendance stagne : fin mai, 66 % (contre 68 % en avril) de ces réservoirs vitaux présentaient des niveaux «bas» à «très bas», selon les derniers chiffres du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) dévoilés mercredi.
Cependant, par rapport à l’an dernier à la même époque, la carte de l’état des nappes «est plus contrastée», avec des régions où la situation «est meilleure, comme la Bretagne», et d’autres «où c’est pire, comme en vallée du Rhône et en Méditerranée», a décrypté mercredi sur CNews le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. «L’été s’annonce difficile», a-t-il prévenu une fois de plus. Car, à cette époque de l’année, les réserves d’eau commencent à se vider, notamment dans la partie nord du pays. Le bassin parisien fait partie des nombreuses zones «préoccupantes» et la plaine du Roussillon «est toujours en situation de crise» avec des «niveaux historiquement bas», précise l’hydrogéologue Violaine Bault, du BRGM. Elle adresse également un «warning» aux secteurs du Poitou, de la Lorraine et du Jura : «Dans ces zones, les nappes sont très sensibles à l’absence de pluie, la situation commence à se dégrader.»
«Conséquences dévastatrices»
Compte tenu de l’état insuffisant des ressources, des mesures pour limiter la consommation d’eau ont été prises sur environ un tiers du territoire. Mercredi, neuf départements disséminés partout en France étaient concernés par des arrêtés de «crise» sécheresse, le plus haut niveau de restrictions. Parmi eux, les Pyrénées-Orientales, la Vendée, l’Eure-et-Loir, l’Isère, le Loiret, l’Oise ou encore le Gard.
Plus globalement en Europe, «les perspectives sont pessimistes» pour cet été au sujet de la sécheresse, avertit mercredi l’Agence européenne pour l’environnement, soulignant que le problème s’accentuera encore à l’avenir avec le changement climatique. «Le sud et le centre de l’Europe deviendront encore plus secs et plus chauds tout au long du XXIe siècle, avec des conséquences dévastatrices pour le secteur agricole, rappelle l’institution. Les pertes économiques totales dans tous les secteurs économiques liées aux sécheresses devraient augmenter d’ici la fin de ce siècle.» Selon l’ONU, la sécheresse en Europe coûte à l’Union et au Royaume-Uni près de 9 milliards d’euros par an. Dans un scénario où le réchauffement se stabiliserait à +1,5 °C, la facture s’élèverait à 25 milliards d’euros, grimpant à 31 milliards avec une hausse de 2 °C et jusqu’à 45 milliards à +3 °C. Une raison supplémentaire de faire rapidement baisser nos émissions de gaz à effet de serre.