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Libération
Reportage

Tempête Kirk en Seine-et-Marne : «On a bien essayé de se claquemurer, mais rien ne peut arrêter l’eau»

Tentant d’empêcher l’inondation de leurs maisons, les habitants de la vallée du Grand Morin observent les bottes aux pieds, ce jeudi 10 octobre et pour «la quatrième fois de l’année», leurs villes submergées par les crues.
A Crécy-la-Chapelle inondé à cause de la tempête Kirk, en Seine-et-Marne, le 10 octobre 2024. (Ava du Parc/Libération)
publié le 10 octobre 2024 à 17h38

Daniel ne décolère pas. Un poids lourd a osé braver l’interdiction de franchir la rue Dam Gilles à Crécy-la-Chapelle (Seine-et-Marne) et son passage a soulevé les eaux brunes qui recouvrent le bitume. «Ça a fait une sacrée vague et toute l’eau est rentrée chez moi», rouspète le sexagénaire, kimono de karatéka sur le dos et balais à la main. Pour éviter que l’incident ne se reproduise, cet ancien chaudronnier a bloqué lui-même l’accès à sa rue avec une large plaque de fonte. «Ça va en dissuader plus d’un de passer», lâche-t-il depuis le pas de sa porte, où un amas de serpillières mouillées empêche péniblement l’inondation du rez-de-chaussée. Un dispositif de fortune installé il y a deux semaines lors de la précédente montée des eaux. A ses côtés, un agent de police municipal semble quelque peu hagard : «On a l’habitude avec le Morin, mais là, quand même, c’est monté très haut.»

Les fortes pluies liées à la dépression Kirk se sont calmées ce jeudi 10 octobre au matin mais le mal est fait. Le Grand Morin est sorti de son lit et ses eaux ont envahi les communes alentour. La crue de la rivière a poussé Météo France et Vigicrues à placer le département en vigilance rouge «crues» dès mercredi et l’indice a été maintenu jeudi autour de ce sous-affluent de la Seine. Le cours d’eau a atteint 3,71 m à La Pommeuse, dépassant ainsi son record historique de 2016. Lors de la crue du 1er juin cette année-là, le niveau de la rivière avait atteint 3,42 m, relate le Parisien.

Accoudés au zinc du Requis, le PMU du coin, les habitants attendent «la vague», car «le pire est encore à venir». Cigarette au bec, Stéphanie, la cinquantaine, anticipe : «Toute l’eau qui est à Coulommiers va se déverser ici cet après-midi. C’est là qu’il faudra être vigilant.» Entre un petit noir et son spéculoos, un livreur abonde : «Le parking du Leclerc est sous l’eau. C’est toute la ZAC qui va être inondée.» En attendant le pic de la crue dans la ville, les habitants ont calfeutré comme ils peuvent leur porte d’entrée. Certains ont empilé des parpaings et comblé les interstices à l’aide de mousse expansive. D’autres ont cloué des panneaux de bois.

«L’eau, si froide, qui montait, montait…»

Une dizaine de kilomètres plus à l’Est, la rue de la Pêcherie, à Coulommiers, est inondée. L’accès au centre-ville est fermé et les voitures rebroussent chemin. Un hélicoptère de la gendarmerie survole la zone à basse altitude tandis qu’on devine au loin le toit blanc d’un utilitaire englouti par les eaux. Depuis sa terrasse, appuyé sur sa béquille, Jean-Luc, 64 ans, caresse sa barbe blanche, mine déconfite. Son jardin est une piscine brune, où un bidon de plastique bleu navigue au niveau du potager. «C’est la quatrième fois cette année, ça fait chier», souffle-t-il, dépité. Le sous-sol de sa maison est entièrement inondé. «Et ça continue de monter, l’eau est passée sous le lino et ça risque d’aller chez le voisin», alerte son épouse Chantal. «On a bien essayé de se claquemurer, de mettre des planches au niveau des portes, mais c’est sorti par les tuyaux de la machine à laver et ça continue depuis 7 heures du matin, ajoute Jean-Luc. Tout est monté à une vitesse ! Rien ne peut arrêter l’eau. On en a au moins pour une semaine avant que tout s’écoule.»

C’est autour des habitations de Coulommiers qui bordent la rivière que les dégâts sont les plus importants. Non loin de la station d’épuration, un imposant camion de pompier participe aux évacuations d’habitants sinistrés devant un petit regroupement de riverains qui regardent la scène. Sylvie, retraitée, est frigorifiée. Pendant plus d’une heure, la petite dame est restée perchée sur la table de sa cuisine en attendant les secours, «avec l’eau, si froide, qui montait, montait…» Son mari n’a pas voulu quitter la maison. «On a déjà eu des inondations par ici, mais ce n’était jamais rentré chez nous», raconte Sylvie. Le petit groupe assiste à un sauvetage particulier : deux pompiers tentent tant bien que mal de faire avancer un âne, de l’eau jusqu’à la croupe. «Pauvre bête. Ça fait quarante ans que j’habite ici, je n’ai jamais vu ça», souffle une habitante qui apporte couvertures et café chaud.

A Pommeuse, petite ville d’un peu moins de 3000 habitants, la crue est la plus forte jamais enregistrée en cinquante ans de mesure. C’est la deuxième fois en quinze jours que le Grand Morin, qui traverse la commune, déborde. Les vergers qui se dressent le long de la route principale sont tous immergés et des centaines de pommes sont charriées par les courants. Michel de Langlois, adjoint au maire de la ville, observe d’un petit pont la montée de la rivière, au niveau de la station hydrométrique. Depuis mercredi, l’homme ne quitte pas son portable et l’application Vigicrues. «Les réseaux d’eau de pluie n’ont pas la capacité pour absorber autant. Toutes les surfaces sont saturées et les sols sont imbibés», fait-il-savoir. Le ciel, clément jusqu’alors, s’assombrit peu à peu. La gabardine de Michel de Langlois se perle de gouttes. Après l’accalmie du matin, la pluie retombe de plus belle sur la vallée du Grand Morin.