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Libération
Commission d'enquête

TotalEnergies : interrogé au Sénat, Patrick Pouyanné défend ses investissements dans le fossile

Lors de son audition devant la commission d’enquête sénatoriale sur les agissements de son entreprise, ce lundi 29 avril, le PDG a dû se justifier sur ses investissements dans l’hydrocarbure plutôt que dans les renouvelables.
Patrick Pouyanné à Abou Dhabi, le 2 octobre 2023. (Amr Alfiky/Reuters)
publié le 29 avril 2024 à 20h35

A la question «Est-ce que vous croyez encore que l’on peut limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré ?», Patrick Pouyanné n’hésite pas une seconde : «Oui, on peut. A condition d’être réaliste, de sortir des dogmes et de regarder ensemble comment on peut avancer, concrètement». C’était là tout l’enjeu de son audition, ce lundi 29 avril, devant la commission d’enquête sénatoriale sur son entreprise, TotalEnergies. Souvent pointée du doigt pour sa responsabilité dans l’augmentation globale des températures, la major du pétrole assure investir massivement dans les énergies renouvelables. Mais les projets pétroliers de TotalEnergies, notamment en Ouganda et en Tanzanie, pourraient en réalité entrer en «contradiction» avec les engagements de la France en matière de politique climatique. Patrick Pouyanné s’en défend : «on continue à investir dans de nouveaux projets de pétrole et de gaz de façon à répondre à la demande et de contribuer à la transition énergétique».

Parmi les nombreuses questions sur les répercussions de tels projets sur les populations locales, et sur l’image que renvoie l’entreprise à l’international en passant des accords avec des pays autoritaires, la commission a d’abord voulu comprendre comment, concrètement, TotalEnergies prenait le chemin de l’énergie renouvelable. Lors de son propos introductif, Patrick Pouyanné, qui avait visiblement anticipé cette question, a longuement défendu la stratégie de son entreprise : produire du pétrole et du gaz «autrement, en émettant moins de CO₂ ou de méthane», investir dans l’électricité renouvelable depuis 2020… «Là où on investissait 18 milliards d’euros dans l’hydrocarbure, on en investit plus que 12 milliards et on met 5 milliards dans l’électricité et un milliard dans les autres énergies bas carbone», se défend-t-il, rappelant être «parti de 0» il y a tout juste quatre ans. Selon lui, continuer à financer des projets pétroliers permet, en réalité, de financer d’autant plus une énergie propre.

«Vos investissements en pétrole et gaz font que vous allez augmenter votre production, rétorque le sénateur écologiste Yannick Jadot, rapporteur de cette commission d’enquête. On entend votre stratégie, mais elle ne correspond pas à ce que demandent et portent les grandes agences énergétiques internationales.» Les voix se font plus fortes dans la salle. «Quand la demande de pétrole déclinera, on déclinera avec elle», assure le PDG en se défaussant. «La réalité de ce que nous vivons aujourd’hui, c’est que la population mondiale croît, et que la demande en énergie croît au même rythme», assène-t-il. En 2023, malgré une production record, les énergies renouvelables «n’ont permis de couvrir que 40 % de l’accroissement de la demande mondiale», avance-t-il encore.

«Il faut nous mettre un cadre»

Pour autant, les sénateurs s’interrogent : une entreprise avec un tel rayonnement international ne pourrait-elle pas devenir pionnière en la matière ? «Imaginons que Total, suivi par les majors européennes, se mettait à faire massivement des énergies renouvelables, vous participeriez à une décarbonation de la demande, plutôt que de contribuer à son maintien en carbone», répond Yannick Jadot. Pas si facile, selon le PDG : sans son «portefeuille pétrolier et gazier», les actionnaires ne «laisseraient pas faire» un tel virage vers le renouvelable. Pourtant, Patrick Pouyanné l’assure lui-même, ce n’est pas la rentabilité qui pose problème. «Les renouvelables ont très mauvaise réputation. Quand on me dit “elles ne sont pas rentables”, je dis qu’elles le sont.»

Une rapporteuse s’interroge alors, sincèrement : «Qu’est-ce qui vous empêche d’aller plus vite sur le renouvelable en Europe ?» «Un manque d’espace, se justifie le chef d’entreprise. Je ne sais pas où trouver 500 km²» pour installer un parc solaire. D’autant plus que, selon lui, les lenteurs administratives du continent n’arrangent rien : «En France, un projet d’énergie renouvelable, c’est à peu près 5 ans. Au Texas, c’est 1 an. En Europe, tout est lent. Je suis désolé de vous le dire, on n’a pas assez de fonctionnaires pour s’occuper de ces projets». Autant de bâtons dans les roues qui empêcheraient l’une des entreprises les plus rentables du monde à se conformer à ces nouvelles ambitions climatiques. «Il faut nous inciter à le faire, il faut nous mettre un cadre», finit-il par réclamer aux élus, se contredisant face à sa propre maxime, avancée quelques minutes plus tôt : «Vouloir, c’est pouvoir».