Alors que le dernier recensement des manchots empereurs indiquait que la population de cet oiseau endémique de l’Antarctique avait diminué de 9,5 % entre 2009 et 2018 sur le continent blanc, la situation semble s’être nettement aggravée depuis. Dans une étude parue ce mardi 10 juin dans la revue Nature Communications, grâce à l’imagerie satellite, des chercheurs estiment la perte du nombre d’individus de l’espèce à 22 % entre 2009 et 2024 (soit un déclin de 1,6 % par an) dans un secteur clé du continent englobant la péninsule Antarctique, la mer de Weddell et la mer de Bellingshausen. La zone, qui couvre 2,8 millions de km², héberge environ 30 % de l’ensemble de la population de manchots empereurs.
«C’est un résultat très préoccupant, mais ce n’est pas nécessairement symbolique du reste de l’Antarctique, expose Peter Fretwell, coauteur de l’étude et chercheur au British Antarctic Survey, l’institut de recherche polaire britannique. Nous allons maintenant étendre l’analyse pour voir si cela se vérifie pour l’ensemble du continent. Si c’est le cas, c’est vraiment inquiétant car ce déclin est pire que les projections les plus pessimistes réalisées jusqu’ici pour les manchots empereurs au cours de ce siècle.»
Selon ces projections, l’espèce pourrait s’approcher de l’extinction d’ici 2100 si le réchauffement climatique suit sa trajectoire actuelle.
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Même si le comptage des oiseaux depuis l’espace comprend une part d’incertitude, les chercheurs du British Antarctic Survey sont confiants quant à la pertinence de leurs résultats. Cette approche est le seul moyen pour les scientifiques de recenser les empereurs, car de nombreux sites de reproduction sont si éloignés qu’il serait difficile, voire dangereux, de s’y rendre en personne. Cela permet aussi de ne pas déranger la faune.
Grâce à de multiples analyses réalisées entre 2009 et 2024 sur 16 colonies, Peter Fretwell constate que «la tendance générale de la population est clairement à la baisse».
L’oiseau endémique de l’Antarctique est particulièrement vulnérable au changement climatique. Pour s’accoupler et élever ses petits, le manchot empereur utilise la glace de mer saisonnière, de l’eau gelée à la surface de l’océan dont dépendent plusieurs espèces des régions froides de la planète. Or, avec l’augmentation des températures, cette glace devient plus incertaine et irrégulière, perturbant la reproduction des manchots.
Mais il ne s’agit pas de la seule menace qui pèse sur l’animal. Peter Fretwell explique qu’avec son équipe, ils ont découvert que même «lorsque les conditions de glace de mer en Antarctique sont stables, la population continue de décliner». D’autres facteurs liés au climat, comme l’évolution des tempêtes, de la neige et des précipitations, la concurrence accrue pour les ressources alimentaires, ou encore la prédation des phoques et des orques qui exploitent un océan plus ouvert, semblent rendre la vie plus difficile aux manchots.
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Ces menaces, conséquences directes de l’activité humaine, ne mettent pas uniquement les manchots en danger. «Ce que nous voyons maintenant avec les empereurs est ce qui arrivera à beaucoup d’autres espèces au cours des prochaines décennies, alerte Peter Fretwell. C’est un avertissement de ce qui nous attend, à mesure que la Terre continue de se réchauffer.»
Face à ce sombre tableau, le chercheur entrevoit une lueur d’espoir. Selon lui, il n’est pas trop tard pour «sauver les manchots empereurs» et «renverser la situation» en agissant rapidement. Il insiste notamment sur la nécessité de baisser drastiquement les émissions de carbone et de méthane. «La disparition de ces oiseaux est un problème régional, mais sa résolution réside uniquement dans une solution mondiale», conclut Peter Fretwell.