D’un simple «tout va bien» à une mise en examen pour «atteintes graves à l’environnement». L’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen le 26 septembre 2019 semble avoir un impact plus important sur l’environnement que ce que veuillent bien admettre les autorités publiques. D’après des prélèvements réalisés par le Fédération de pêche dans le Bassin aux bois de Rouen et une enquête sur site d’information StreetPress, plusieurs sources d’eau des alentours de la capitale normande ont bien été polluées aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des substances cancérogènes notamment contenues dans la suie d’incendie.
Les autorités avaient pourtant tiré des conclusions bien différentes. «Aucun élément ne permet de conclure à l’observation d’une contamination apportée par l’incendie différentiable d’une pollution industrielle historique», expliquait un rapport de Santé publique France. «Il n’y a pas de préoccupation particulière concernant la santé des populations sur la durée» abondait le préfet, cité par StreetPress en se basant sur près de 368 000 données dont 6 500 prélèvements dans l’air, l’eau et le sol.
Pourtant, d’autres résultats contenus dans une clé USB transmise par un salarié de l’agence de Rouen à Simon de Carvalho, le président de l’Association des sinistrés du Lubrizol (ASL), prouvent le contraire. Un jeu de données concernant la source des Cressonnières, à Fontaine-sous-Préaux, soit à une petite dizaine de kilomètres de l’usine Lubrizol, attire l’attention du site d’information. Les données récoltées par l’agence de l’eau témoignent d’une explosion des concentrations en HAP dans cette source qui alimente 100 000 Rouennais en eau potable. En février 2020, l’eau prélevée dans cette source contenait un peu plus de 1,6 microgramme par litre de 6 HAP avant traitement, alors qu’un arrêté du 11 janvier 2017 fixe un seuil maximal de 1 microgramme par litre de 6 HAP concernant l’eau destinée à la consommation humaine. Un phénomène jamais vu depuis vingt ans.
Deux épisodes de contaminations et de pollution
Concrètement, les analyses de la source des Cressonnières témoignent de deux épisodes de contamination et de deux épisodes de pollution selon les règles fixées par un arrêté datant du passage de Roselyne Bachelot au ministère de la Santé. Dans ces deux cas précis, l’eau n’est donc logiquement pas potable mais les concentrations sont telles que même après traitement, elle est inconsommable.
Toutefois, les prélèvements mis en lumière par StreetPress ne semblent pas convaincre le service de l’eau de la métropole de Rouen. Son directeur, cité par le site d’information, affirme «ne pas avoir eu connaissance de ces analyses». «Dès le lendemain de l’incendie, nous avons installé un appareillage pour détecter les HAP en temps réel à Fontaine-sous-Préaux», justifie-t-il, assurant que «dans l’état actuel des choses, je n’ai pas d’inquiétude à avoir ni pour les usagers, ni pour nos ressources en eau suite à l’incendie». Des propos confirmés par l’Agence régionale de Santé qui elle, se base sur des prélèvements faits dans une zone où la pollution des Cressonnières a pu être diluée dans d’autres sources. D’autant que cette eau, une fois diluée, reste sous les seuils de pollution tolérés. Circulez, il n’y aurait rien à voir, vu qu’il n’y aurait finalement pas de risques pour l’eau potable.
Reste que l’incendie de l’usine devrait laisser des traces sur l’environnement. «Les HAP les plus lourds sont piégés dans la roche et imprègnent le milieu. Les autres sont transportés par l’eau, or, 90 % de l’eau des rivières provient des nappes phréatiques. Donc si la nappe est contaminée, la rivière le sera. Et là il y a un enjeu écologique : les HAP sont toxiques pour les larves d’insectes, les poissons…» explique l’hydrogéologue rouennais Matthieu Fournier, cité par StreetPress. Bien loin des conclusions faussement rassurantes des autorités.
Droit de réponse de la société LUBRIZOL FRANCE
«Lubrizol France conteste fermement la présentation faite par Libération d’une alléguée pollution de sources proches de son usine. Libération rapporte des données qui n’ont fait l’objet d’aucune publication, d’aucune discussion scientifique et dont la méthodologie appliquée est inconnue. Il ne peut être tiré de résultats prétendument définitifs de telles données opaques, en dehors de tout contexte. De manière générale, de telles données ne sauraient être interprétées indépendamment de valeurs de référence (locales, nationales, antérieures) et de valeurs sanitaires seuils et sans prendre en compte les réalités géographiques. Aucun élément ne permet à ce jour de conclure que l’incendie, qui a affecté conjointement les sites de NL Logistique et de Lubrizol France, aurait impacté l’environnement au-delà du bruit de fond local et régional, ainsi que l’ont démontré toutes les études environnementales conduites par les autorités à la suite de l’incendie.»
Mise à jour : Cet article a été mis à jour le 9 novembre 2021 avec l’ajout du droit de réponse de la société LUBRIZOL FRANCE.