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Libération
Interview

Eau de Perrier contaminée : «La nappe est vulnérable à la pollution bactérienne»

Alors que la France devait s’expliquer ce mardi 30 avril à la Commission européenne à Bruxelles sur sa gestion de la crise des eaux minérales illégalement traitées, Sophie Ressouche, spécialiste de la nappe où est pompée l’eau de Perrier, explique comment des contaminations ont pu se produire.
Perrier, propriété de Nestlé, a dû détruire 2 millions de bouteilles après la découverte d'une pollution bactérienne d'origine fécale. (Thibaut Durand/Abaca)
publié le 30 avril 2024 à 17h38

Va-t-on bientôt en apprendre davantage sur les éventuelles défaillances des autorités françaises dans le scandale des eaux minérales illégalement traitées par Nestlé ? Ce mardi, lors d’une réunion d’experts dans l’enceinte de la Commission européenne, des représentants du ministère de la Santé ont présenté un état des lieux sur la question de ces eaux censées être «pures». Contrairement à ce qu’exige la directive européenne sur les eaux minérales naturelles, la France n’a pas averti Bruxelles des pratiques non conformes par Nestlé alors qu’elle était au courant depuis 2020.

En parallèle, la polémique continue à monter. La semaine dernière, Nestlé a annoncé avoir détruit deux millions de bouteilles d’une de ses marques phares, l’eau Perrier. Par le biais d’un arrêté datant du 19 avril, la multinationale a en effet été sommée par le préfet du Gard, département où est pompée l’eau gazeuse, de «suspendre sans délai» l’exploitation du forage Romaine VIII, situé dans la commune d’Uchaud -l’embouteillage a lieu sur le site voisin de Vergèse. En cause, une contamination d’origine fécale probablement causée par les fortes pluies survenues début mars. Sophie Ressouche, responsable du pôle eau souterraine de l’Etablissement public territorial de bassin (EPTB) Vistre Vistrenque, chargée de la gestion de la ressource dans la zone où pompe Perrier, explique pourquoi la nappe en question est vulnérable aux pollutions bactériennes.

Quelles sont les caractéristiques de la nappe dans laquelle est pompée l’eau Perrier ?

Nestlé exploite les nappes des calcaires des garrigues nîmoises, constituées de roches dures datant du crétacé et parcourues par des fissures remplies d’eau. Ce système hydrogéologique assez vaste s’étend le long de la faille de Nîmes et dépasse même les limites du département du Gard, jusqu’à l’Hérault. Il s’agit de nappes compartimentées. Dans le secteur de Nîmes, la fontaine de Nîmes, une source historique, constitue l’exutoire principal du système. Une partie de ce réservoir se trouve «sous couverture» : des dépôts plus récents recouvrent la roche calcaire profonde. On manque d’information sur l’âge de l’eau qui circule, on sait juste que, dans les zones les plus profondes, elle est très ancienne. Nestlé a lancé une étude pour améliorer la connaissance de ce réservoir et de son mode d’alimentation. Ce système communique avec les nappes Vistrenque et Costière, constituées de sables, de graviers et cailloux dont les interstices se remplissent d’eau.

Un captage sur cette nappe exploitée par Perrier, ça ressemble à quoi ?

Un forage dans une nappe, bien plus impressionnant qu’un puits chez un particulier, c’est comme un trou dans lequel s’insère un tube en métal et où se glisse une pompe. Le diamètre est parfois tel qu’on peut pénétrer dans certains captages.

Cette nappe est-elle utilisée pour d’autres usages que ceux de Nestlé ?

Oui, la nappe des calcaires des garrigues nîmoises est utilisée pour produire de l’eau du robinet mais pas forcément dans le même compartiment que celui exploité par Nestlé. Deux communes gardoises sont alimentées par ce même aquifère. Leur eau ne pétille pas car le gaz n’est présent dans l’eau qu’à grande profondeur le long de la faille de Nîmes.

Est-ce que la contamination avec des matières fécales début mars a été repérée ailleurs sur la nappe que dans le forage de Nestlé ?

Pas à ma connaissance. Mais même en cas de pollution bactérienne ponctuelle, une collectivité peut traiter l’eau potable avant de la distribuer. Un traitement à base de chlore élimine les bactéries et virus. En revanche, après les fortes pluies de mars, l’eau est devenue beaucoup plus trouble dans d’autres secteurs que les calcaires des garrigues nîmoises. Or les matières en suspension sont propices au développement de bactéries. Dans ce cas, les habitants peuvent être alimentés au moyen d’autres forages. En revanche, pour les eaux naturelles minérales, comme celles produites par Nestlé, les traitements de potabilisation ne sont pas autorisés. L’eau doit être naturellement potable avant d’être embouteillée.

Le captage contaminé de Perrier plonge à plus de 100 mètres dans le sous-sol, est-ce surprenant de retrouver des bactéries à une telle profondeur ?

Non. De par sa configuration, la nappe est vulnérable à ce type de pollution. C’est le cas de tous les systèmes karstiques [constitués de calcaire, ndlr]. En cas de pluies importantes, il peut y avoir un lessivage des sols et cela a pu entrainer de la pollution fécale issue d’excréments, des eaux usées. Dans les systèmes calcaires, l’eau pénètre et circule très vite ; les milieux traversés ne font pas office de filtres naturels. Dans un système comme la nappe de la Vistrenque présente dans la plaine, qui est comme une éponge constituée de cailloux, sables et graviers, on a beaucoup moins de problèmes bactériologiques car le matériau qui constitue le réservoir d’eau joue un rôle de filtre.

En collaboration avec Nestlé, vous travaillez avec des agriculteurs pour qu’ils utilisent moins de pesticides, la nappe est-elle aussi vulnérable face aux pollutions chimiques ?

Oui. Nous œuvrons à la protection de la qualité de l’eau autour des captages qui peut être dégradée, notamment à cause de problèmes de pollution diffuse aux nitrates ou aux pesticides. On met en place, avec Nestlé, des actions communes en faveur de la préservation de la ressource souterraine. La nappe des calcaires a cependant moins de problèmes liés à ce type de pollutions chimiques car le secteur des garrigues est une zone naturelle de garrigues, de chênes et de pins, moins cultivée que la plaine.

Le changement climatique peut-il accroître les problèmes ?

Il a surtout un impact quantitatif sur les nappes, qui se rechargent moins bien à cause du manque de pluies en hiver. En termes de qualité, il peut y avoir une incidence sur les pollutions diffuses, aux nitrates notamment. S’il y a moins d’eau, ces polluants sont moins dilués.

Un nouvel épisode cévenol est attendu dans la zone cette semaine. Faut-il redouter un nouvel épisode de lessivage et de contamination de la nappe ?

Pas vraiment car les précipitations attendues cette semaine n’ont rien à voir avec celles d’il y a deux mois. Entre 40 et 60 mm de pluie sont prévues, alors qu’en mars on en a eu plus de 200 mm, c’était exceptionnel. Il n’y a pas forcément lieu de s’inquiéter pour les jours à venir.