En résumé :
- La 28e Conférence des Nations unies sur le climat s’est ouverte jeudi 30 novembre à Dubaï, aux Emirats arabes unis. Dès le premier jour, la mise en œuvre d’un fonds destiné à compenser les «pertes et dommages» des pays vulnérables face aux désastres climatiques, alors qu’ils sont historiquement les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre, a été entérinée par l’ensemble des Etats.
- L’accord final de la COP 28 devait en principe être adopté ce mardi matin mais les négociations ont pris du retard. Un projet de texte, rendu public lundi par la présidence émiratie et jugé beaucoup trop faible, appellait notamment à la «réduction à la fois de la consommation et de la production des énergies fossiles», sans mentionner la «sortie» de celles-ci.
- Ce sommet mondial est «la COP la plus importante depuis Paris», selon le chef des Nations unies sur le climat, Simon Stiell. Et pour cause : elle est synonyme du premier bilan des «progrès» réalisés par les pays depuis la signature de l’accord de Paris en 2015. Lors de la COP 21, les dirigeants mondiaux s’étaient accordés sur l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 2 °C, voire 1,5 °C.
Pas d’accord final prévu pour aujourd’hui. Sultan al-Jaber a beau l’avoir crié sur tous les toits, la COP28 se terminera bien avec plusieurs heures de retard, comme d’accoutumé. Le texte proposé aux Etats ne sera pas dévoilé avant demain matin à 7 heures (heure de Paris). D’après le porte-parole de la COP28, Sultan al-Jaber est «déterminé à présenter une version du texte qui bénéficie du soutien de toutes les parties», quitte à jouer les prolongations. «La nuit dernière et tout au long de la journée, le président de la COP28 et son équipe ont mené des consultations approfondies» avec de nombreux groupes de négociations, a indiqué le porte-parole, qui précise que les négociations se poursuivront jusqu’à minuit (heure de Paris) afin «de s’assurer que tous les points de vue soient pris en compte».
L’Union européenne met la pression pour «la fin des combustibles fossiles». Le nouveau projet d’accord, attendu cette nuit, est actuellement en cours d’écriture afin de contenter un maximum de pays après le rejet du premier texte proposé. Un commissaire européen chargé du climat, Wopke Hoekstra, s’est exprimé sur l’état d’avancement des négociations, en précisant que l’Union européenne souhaite que cette COP «marque le début de la fin des combustibles fossiles» et que sa délégation continuera à faire pression en ce sens. Sur X (ex-Twitter), il affirme travailler de concert avec de nombreuses coalitions, notamment l’Alliance des petits Etats insulaires (Aosis).
Our work at #COP28 continues. We discussed the European Union's position with @COP28_UAE president.
— Wopke Hoekstra (@WBHoekstra) December 12, 2023
We want this COP to mark the beginning of the end of #fossilfuels, and will keep pushing for that, together with our partners in @HACoalition, @AOSISChair and the Umbrella Group. pic.twitter.com/OesdYhU6ip
Pendant ce temps-là, Dubaï veut sa grande barrière de corail artificiel. Annoncé officiellement au début du raout onusien, le gigantesque projet Dubai Reef, qui consiste à installer un récif artificiel le long du littoral, reste flou. Des experts s’interrogent sur sa faisabilité et sa pertinence. Par notre envoyée spéciale Margaux Lacroux.
Biodiversité
Le président de la COP 28 va essayer de conclure un accord durant la nuit. D’après les informations de la BBC, Sultan al-Jaber espère faire voter dans les prochaines heures un texte «plus ambitieux», contrairement au premier texte proposé, qui avait suscité l’indignation de nombreux pays. Selon le média britannique, la «réunion se poursuivra toute la nuit si nécessaire».
Le gouvernement français a intégré le PDG de TotalEnergies à sa délégation officielle. Six cadres de la compagnie pétrolière, dont son patron Patrick Pouyanné, ont pu bénéficier d’un accès privilégié aux discussions lors de la COP 28, selon des données du Corporate Europe Observatory, citées par le média d’investigation Mediapart. D’ordinaire, les entreprises ont la possibilité d’être présentes dans les COP par le biais d’accréditations octroyées sous l’égide des associations ou ONG. Sollicité, le cabinet de la ministre de la Transition énergétique a refusé de communiquer la liste de la délégation officielle française.
L’émissaire britannique fait l’aller-retour Londres-Dubaï en avion. En quelques heures, Graham Stuart, ministre d’État britannique chargé du changement climatique et des négociations à la COP 28, a fait plus de 10 000 km par avion pour un simple vote à Londres. Il a quitté Dubaï ce mardi matin pour reprendre ses fonctions de député et voter un texte sur la politique migratoire du Royaume-Uni. Selon les informations détaillées par le Guardian, il a ainsi laissé d’autres responsables terminer les négociations, pourtant à un moment critique. Toujours selon le média britannique, Graham Stuart doit reprendre l’avion pour revenir à Dubaï après son vote. Selon Sky News, cet aller-retour équivaut à un trajet de près de 10 000 kilomètres. Pour l’exemplarité, on repassera.
Lors d’une COP, comment un accord est-il adopté ? La présidence émiratie travaille actuellement à un nouveau projet d’accord, après le rejet de la première proposition. Ce texte sera ensuite présenté par le président Sultan al-Jaber aux 198 pays - ou «parties» - lors d’une réunion finale, où il sera soumis au vote. Le principe est le même qu’à l’ONU : un pays, une voix. Et selon les règles de procédure - à défaut d’un règlement intérieur véritablement institué - c’est le mode consensuel qui est privilégié, c’est-à-dire qu’il faut que personne n’objecte ouvertement avant le coup de marteau final du président de la COP pour que l’accord soit adopté, mot pour mot. Ce qui donne parfois lieu à des situations peu orthodoxes. Par exemple, au Mexique en 2010, la présidente a tapé le marteau annonçant un accord, alors que les Boliviens demandaient la parole. Une proposition pour adopter ces accords au vote majoritaire plutôt que par consensus (ce qui permettrait de véritables avancées sur le front du climat) est en discussion depuis la COP 17 de Durban de 2011. Cette année encore, l’ancien vice-président des États-Unis, Al Gore, a évoqué cette réforme en proposant une nouvelle règle : celle «d’une super-majorité de 75 %».
Décryptage
Pendant ce temps-là… «La chaleur en Asie de l’Est est complètement folle», écrit sur X (ex-Twitter) le climatologue Maximiliano Herrera, qui traque les records de chaleur dans le monde. «Des milliers de records sont tombés (plus de 1 100 seulement en Chine) et des centaines /milliers d’autres tomberont dans les prochains jours du Myanmar au Japon», averti-t-il.
Des manifestants exigent la fin des énergies fossiles.
Certains responsables arabes farouchement opposés à une sortie des énergies fossiles. Lors d’une conférence sur la coopération régionale dans le domaine du pétrole à Doha, au Qatar, le ministre koweïtien du Pétrole, Saad al-Barrak, a accusé ce mardi les pays occidentaux de tenter de dominer l’économie mondiale par le biais des énergies renouvelables. Selon lui, s’y opposer est «un combat pour notre liberté et nos valeurs». Il a également qualifié la pression internationale pour sortir des énergies fossiles «d’attaque agressive». Il poursuit : «Je m’étonne de l’insistance inhabituelle à priver les peuples du monde et de nombreux pays de cette source essentielle d’énergie», a-t-il dit à propos du pétrole, faisant valoir qu’«il y a peut-être 700 millions d’Africains qui n’ont pas encore accès à l’électricité». Côté Irak, le ministre du Pétrole, Hayan Abdel-Ghani, a déclaré que «les énergies fossiles resteront la principale source d’énergie dans le monde». «En tant que pays arabes, nous produisons cette énergie, mais nous ne sommes pas à l’origine des émissions», a-t-il soutenu, jetant cette responsabilité sur les pays consommateurs, qui «doivent développer des technologies pour réduire leurs émissions».
Reportage
Quelques chiffres du Giec. Pour que le monde reste sur la voie d’un réchauffement à +1,5 °C, «les émissions de CO2 doivent diminuer de 48 % d’ici à 2030, de 80 % d’ici à 2040 et de 99 % d’ici à 2050 par rapport aux niveaux de 2019», estiment les experts climat de l’ONU dans leur 6e rapport. Les émissions totales, tout gaz à effet de serre inclus, «doivent diminuer de 43 % d’ici à 2030, de 69 % d’ici à 2040 et de 84 % d’ici à 2050.» Enfin, un futur compatible avec un scénario de réchauffement à +1,5 °C ne permet aucun développement des combustibles fossiles, car les émissions de CO2 prévues pour les infrastructures existantes dépassent déjà le budget carbone restant.
Les producteurs de pétrole et de gaz d’Afrique sont contre la sortie des énergies fossiles. Des pays comme le Nigéria et l’Ouganda s’opposent avec véhémence à un texte final qui mentionnerait l’élimination progressive de tous les combustibles fossiles, rapporte le média spécialiste de l’énergie Argus. Le ministre nigérian de l’environnement, Isiaq Adekunle Salako, estime que demander à l’Afrique d’éliminer progressivement les combustibles fossiles, c’est comme «demander d’arrêter de respirer sans assistance respiratoire». Il a toutefois expliqué que son pays, le plus grand producteur africain de pétrole de l’Opep et l’un des 130 pays à s’engager à tripler la capacité des énergies renouvelables d’ici à 2030, était prêt à soutenir une réduction progressive, juste et ordonnée, de la production et de l’utilisation des combustibles fossiles, qu’il jugeait «inévitable». «A mesure que nous développons nos énergies renouvelables, nous réduirons notre utilisation des combustibles fossiles», a-t-il promis.
C’est la question à mille balles qui agite la COP ce mardi. L’heure officielle de la fin de l’événement étant désormais dépassée, jusqu’à quand les négociations vont-elles durer ? La délégation française, dont le pavillon devait en théorie commencer à être démonté ce mardi pour laisser place à un marché de Noël géant à partir de vendredi, envisage des prolongations jusqu’à mercredi soir. «Je trouvais optimiste l’idée d’un accord conclu ce mardi, on avance vers les dernières 24 à 36 heures», a affirmé ce mardi en milieu de journée la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher devant des journalistes. Un texte peaufiné, mais sûrement pas le dernier, est attendu en fin de journée vers 18 heures. Puis les négociations repartiront pour un tour afin de finaliser l’accord. «La nuit va être longue», promet la ministre. Par notre envoyée spéciale Margaux Lacroux.
Selon l’émissaire allemande, «nous nous trouvons au cœur d’un moment critique». Dans une vidéo publiée sur X (ex-Twitter), la secrétaire d’Etat allemande Jennifer Morgan précise que des «navettes diplomatiques» sont en cours, et que les délégués se rencontrent en vue d’aboutir à un consensus sur l’accord. «Les prochaines heures seront décisives. La présidence de la COP 28 va délivrer un nouveau texte, mais nous ne savons pas encore quand exactement : cela peut être à 18 heures (heure de Dubaï), ou cela peut être plus tard. Pendant ce temps, nous continuons à travailler», ajoute-t-elle.
127 pays sont en faveur de l’élimination progressive des combustibles fossiles. Contre 80 pays en 2022. Un chiffre en nette progression. D’après cette analyse publiée par le réseau régional des îles Pacifique (PICAN) et l’organisation environnementale Oil Change International, ces pays représentent plus de 70 % des Parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et comptent pour 46,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela «confirme qu’il existe aujourd’hui une dynamique sans précédent en faveur de l’élimination progressive de tous les combustibles fossiles», souligne l’étude.
«1,5 °C ne mourra jamais» : les scientifiques réagissent au projet d’accord. «Le texte actuel ignore totalement les réalités des impacts globaux et irréversibles des changements dans la cryosphère [l’ensemble des glaces qui recouvrent la Terre, ndlr]», alerte Pam Pearson, directrice du groupe d’experts de l’Initiative internationale Cryosphère-Climat. «Pour la neige et la glace, 1,5 °C n’est pas seulement préférable à 2 °C, c’est la seule option. C’est pourquoi les chercheurs qualifient de «folie» l’augmentation continue du CO2 provenant des combustibles fossiles.» «Nous devons nous assurer que les pays tiennent leurs promesses, et non pas qu’ils promettent de tenir leurs promesses», renchérit Glen Peters, directeur de recherche pour le groupe Atténuation du climat. Pour Joeri Rogelj, professeur en sciences et politiques climatiques au Centre for Environmental Policy de l’Imperial College de Londres, «le manque d’action dans le passé signifie que la fenêtre pour contenir le réchauffement à 1,5 °C est presque fermée. D’éminents commentateurs l’ont déjà déclaré : 1,5 °C est mort. Pourtant, en examinant les impératifs scientifiques et sociétaux, j’en arrive à la conclusion inverse : 1,5 °C ne mourra jamais.»
«Le changement climatique, c’est bien plus que des statistiques. C’est à propos des gens.» La militante ougandaise Vanessa Nakate a fustigé le manque de considération de la communauté internationale pour les populations vulnérables. «Les dirigeants continuent de prendre des décisions incompatibles avec l’existence de l’humanité. Ce texte que nous avons vu hier est en train de couler le canot de sauvetage de l’humanité. Celui des enfants et des communautés, notamment dans les pays du Sud», a-t-elle lancé lors d’une conférence de presse tenue par l’ONG 350.org. «Il est très triste que les mêmes personnes soient touchées par des catastrophes successives. Le changement climatique, c’est plus que des statistiques. C’est plus que des points de données. Il s’agit des gens.»
Scènes dubaïotes, lors de ces deux semaines de négociations pour le climat.
Prises de paroles annulées. L’envoyé spécial américain pour le climat John Kerry devait tenir aujourd’hui une «conférence de presse de clôture» à 13 heures, heure de Paris. Mais cette conférence a été reportée d’une journée et se tiendra finalement au lendemain de la clôture de la COP 28, mercredi 13 décembre. En parallèle, la ministre espagnole de l’environnement Teresa Ribera - dont le pays assure la présidence tournante du conseil de l’UE - a elle aussi annulé sa prise de parole. Les raisons de ces annulations n’ont pour le moment pas été précisées.
Un nouveau texte est attendu à 15 heures. Un nouveau projet d’accord doit normalement être publié vers 18 heures à Dubaï (15 heures à Paris.) Le président de la COP 28, Sultan al-Jaber devra ensuite obtenir le consentement de toutes les parties lors d’une réunion finale. Et ce consensus n’est pas simple, estiment certains participants.
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