La France suffoque, le Haut-Rhin n’est pas épargné et à Colmar, le centre hospitalier en ressent déjà les effets. Touchée comme de très nombreux autres territoires par la vague de chaleur, l’Alsace est placée depuis ce dimanche 29 juin en vigilance orange canicule par Météo France. Ce début de semaine, le mercure devrait culminer à 35°C (avec 39°C à 40°C ressenti) dans la commune du Grand-Est, qui a déjà connu par deux fois ces températures en une dizaine de jours. Une situation délicate pour son hôpital et notamment son service des urgences, en première ligne face aux corps fatigués des patients et à leurs sens désorientés par la chaleur. Point de situation avec Eric Thibaud, chef du service.
Quelles sont les conditions actuelles aux urgences du centre hospitalier de Colmar ?
Ce mois de juin est tout simplement le plus gros mois d’activité que j’aie connu en quinze ans dans ce service. On tourne en moyenne à 152 passages par jour. Depuis le début de l’année 2025, on ne fait qu’exploser des records d’affluence, mais juin surpasse tout. L’année dernière, ce même mois, on était à 140 passages par jour. La vague de chaleur joue un rôle évident et les perspectives d’un été caniculaire sont déjà dans les esprits. Les épisodes estivaux extrêmes n’ont rien à voir avec les périodes de tension liées au froid. L’hiver, il y a parfois des pics de suractivité en raison d’une flambée de maladies aiguës (grippes, gastro-entérites, etc.) et de traumatismes liés aux accidents survenus sur du verglas, mais ils peuvent redescendre très vite. Les vagues de chaleur sont plus insidieuses. Elles pèsent bien plus sur les organismes. Cela entraîne plus d’hospitalisations, sur des durées qui peuvent être assez longues car les récupérations sont difficiles. Cette pression constante peut être éprouvante pour les équipes.
Quel type de patients afflue aux urgences lors des fortes chaleurs ?
Ce sont en grande majorité des personnes fragilisées par des pathologies chroniques. On parle surtout de patients de plus de 70 ans, atteints d’insuffisance cardiaque ou respiratoire, qui vont décompenser sous l’effet de la chaleur. C’est un schéma qu’on connaît : l’hiver, ces mêmes patients décompensent à cause d’épisodes infectieux, l’été, c’est la chaleur qui les met en danger. Toutefois, ces personnes vulnérables ne sont pas les seules concernées. On voit aussi des jeunes en parfaite santé victimes d’hyperthermie maligne. La température de leur corps se dérègle brutalement jusqu’à atteindre parfois les 40 degrés. Un militaire a fini tout récemment dans nos urgences après un entraînement intensif sous une chaleur écrasante. Quiconque dépasse ses limites en période de canicule est à risque.
Jusqu’où peuvent aller les complications médicales ?
Pour certains patients, la situation se règle en 24 à 48 heures, mais ce n’est jamais anodin : cela nécessite tout de même souvent une hospitalisation, avec perfusions, réhydratation et surveillance rapprochée. Pour les insuffisants cardiaques et respiratoires, il y a souvent une admission dans un service spécialisé, avec une prise en charge intensive, pour faire face à une dégradation brutale de leur santé, qui peut aller jusqu’au coma. Et puis dans les cas d’hyperthermie maligne, cela peut aller jusqu’à la réanimation. Le corps n’est plus capable de se refroidir, les malades peuvent avoir des troubles de la conscience, des convulsions… Ils nous arrivent de les envelopper dans des poches de glace. On peut mourir d’une hyperthermie maligne.
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Comment se prémunir au mieux des risques liés à la chaleur ?
Je ne vais rien dire d’original, mais il faut penser à bien aérer les maisons et les appartements la nuit, à garder volets et fenêtres fermés en journée, à s’hydrater très régulièrement sans attendre d’avoir soif, à manger beaucoup de fruits et légumes car ils sont chargés en eau… Si on en a la possibilité, il ne faut surtout pas hésiter à se réfugier dans les endroits les plus frais : dans les magasins climatisés, les cinémas, au bord de l’eau, en forêt ou en altitude. Eviter au maximum la consommation d’alcool, parce qu’elle déshydrate. Et ne pas tenter le diable avec une activité physique, sortir le matin très tôt ou s’abstenir si la pratique demande une haute intensité. C’est du bon sens, mais courir un marathon par 35 °C n’est pas une bonne idée !
Une organisation particulière est-elle prévue dans votre service pour faire face à cet été à haut risque ?
On a la chance de pouvoir compter sur l’arrivée de deux médecins généralistes. Ces renforts avaient été actés avant les grosses chaleurs de ce mois de juin. Canicule ou non, on en avait besoin, mais au regard de ce qui nous attend, on est d’autant plus soulagés de leur venue ! Est-ce que cela suffira à faire tenir le service et à continuer à assurer une prise en charge optimale de tous les patients ? On sait que ça va être dur. De toute façon, même si les urgences tiennent, la question est de savoir si le centre hospitalier dans son ensemble tiendra. Comme évoqué tout à l’heure, de nombreux autres services s’occupent des patients souffrant de complications liées à la chaleur. Mais ici à Colmar, les tensions au niveau des effectifs sont telles que chaque période estivale entraîne la fermeture de lits dès le départ en congé de certains soignants. On parle de 100 lits, voire 150. Cet été, il faudra donc faire avec les moyens à notre disposition.
D’un point de vue infrastructure, votre hôpital est-il adapté à ces épisodes de chaleur extrême ?
Certains services récents le sont, mais d’autres pas. Des travaux sont prévus mais prendront quelques années. Aux urgences nous avons la chance d’avoir la climatisation, mais le centre hospitalier dispose de vieux bâtiments, comme beaucoup d’hôpitaux français, très mal isolés, avec un édifice central qui accueille la chirurgie, la cardiologie, l’oncologie, avec des chambres exposées plein sud. Actuellement, des ventilateurs y sont installés, mais ce n’est pas adapté aux grosses chaleurs. C’est difficile pour les équipes, mais c’est surtout très problématique pour les malades. La chaleur entrave véritablement la convalescence des patients qui sortent par exemple d’une opération, ou qui suivent un traitement. C’est un réel cercle vicieux car la durée des hospitalisations s’allonge, les lits se libèrent moins vite, et derrière, c’est toute la chaîne d’accueil des nouveaux patients qui se retrouve sous pression.