Le rendez-vous annuel des abysses s’est clos vendredi 2 août. A Kingston, capitale de la Jamaïque, les 168 pays membres de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) se sont réunis une nouvelle fois pour négocier les termes de l’exploitation minière du plancher océanique. Nickel, cuivre, cobalt, manganèse, lithium… les entreprises minières convoitent ces métaux rares utiles à la fabrication de technologies vertes, comme les batteries de voitures électriques, les panneaux solaires, ou encore les éoliennes.
Depuis des années, les pays peinent à rédiger un code minier censé établir les règles du jeu de cette potentielle exploitation. Mais les deux semaines de négociations ont rebattu les cartes. L’élection d’une nouvelle secrétaire générale à la tête de l’institution, le vendredi 2 août, redonne espoir aux ONG. La Brésilienne Leticia Carvalho a en effet promis que son mandat serait placé sous l’égide de la transparence et du respect de la science. Emma Wilson, chargée de plaidoyer de la Deep Sea Conservation Coalition, un groupement de plus de 115 ONG dont Greenpeace et la WWF, décrypte les enjeux de ce vote et revient sur les temps forts du sommet.
Quel danger présente l’exploitation minière des fonds marins ?
Nous sommes encore très loin d’avoir assez de connaissances scientifiques pour pouvoir évaluer correctement l’impact de l’exploitation minière sur les écosystèmes et le climat. Ce qu’on sait, c’est que 5 000 espèces qu’on ne trouve nulle part ailleurs vivent dans les zones potentiellement visées par l’exploitation minière. Il y en a sans doute des milliers d’autres, qui demeurent inconnues. On risque donc de les détruire avant même de les découvrir. Les fonds marins jouent aussi un rôle clé dans la lutte contre le réchauffement, en stockant le carbone de l’atmosphère. L’exploitation minière risque de compromettre ça, alors que dans notre contexte de crise climatique, la protection de ces puits de carbone marins devrait être une obsession pour tout le monde.
Comment l’élection d’une nouvelle secrétaire générale peut-elle avoir un effet sur l’avenir des fonds marins ?
La victoire écrasante de la Brésilienne Leticia Carvalho à la tête de l’AIFM est un signe que les pays membres veulent du changement. C’est un vote qui peut paraître bureaucratique mais comme le secrétaire général assure la bonne gouvernance de l’institution, son profil influe forcément sur les débats. Son concurrent, l’actuel secrétaire général, Micheal Lodge, a été accusé de proximité avec l’industrie minière et de tentatives d’interférer dans l’élection, notamment révélées par une enquête du New York Times. Et ces allégations très préoccupantes n’ont jamais fait l’objet d’enquête ou même de discussion au sein de l’AIFM. Donc, même s’il est difficile de savoir quel impact la nouvelle élue va avoir une fois en poste, dès janvier 2025, son profil d’océanographe et son parcours au sein du programme des Nation unis pour l’environnement donnent espoir. L’institution a grand besoin de plus de transparence. Et d’accorder plus de place à la recherche scientifique.
Quels sont les enjeux du code minier, l’objet principal des négociations de l’AIFM ?
Pour tout comprendre il faut revenir à 2021, quand l’Etat de Nauru, une île du Pacifique, a soutenu la demande d’exploitation de l’entreprise minière canadienne The Metals Company. Depuis, un compte à rebours juridique a été lancé pour créer au plus vite un code minier, qui établira les règles de l’industrie et donnera le feu vert au début de l’exploitation. En ce moment, les négociateurs travaillent en fonction de ce calendrier accéléré et irréaliste, qui vise à finir le code minier l’année prochaine. Mais, à cause du manque de visibilité scientifique, le code minier qui risque d’être adopté ne sera pas capable de protéger le milieu marin.
Quel est l’intérêt de créer une politique générale environnementale ?
C’est de là qu’est partie l’initiative de neuf pays, dont la France, le Chili et l’Allemagne, de créer une politique générale pour la protection et la préservation de l’environnement. Ce serait un document qui rassemblerait toutes les mesures de protection de la biodiversité des fonds marins. Le but, c’est qu’il puisse ensuite agir comme un garde-fou environnemental, empêchant l’adoption d’un code minier dysfonctionnel et une autorisation de l’exploitation qui n’envisagerait pas les potentielles répercutions sur le milieu marin. Pour le moment, après des heures de débats intenses, la proposition a été bloquée par une minorité de pays, dont la Chine et l’Arabie Saoudite. La discussion devra donc reprendre à la prochaine session de négociations. Mais le fait que ce débat ait pu avoir lieu pour la première fois cette année est quand même le signe d’un changement profond au sein de l’AIFM.
Ce changement passe-t-il forcément par l’adoption d’un moratoire ?
Les pays qui ont déclaré être favorables à un moratoire sont extrêmement moteurs dans la création d’une politique générale. Et ils sont de plus en plus nombreux. Ces derniers jours, cinq nouveaux pays ont appelé à une pose de précaution, dont Malte, le Guatemala et le Honduras. Il y a deux ans, pas un seul pays ne demandait un moratoire. Aujourd’hui, ils sont plus de trente. Donc, à l’échelle du temps politique, ça bouge très, très vite. Et l’AIFM est obligée de tenir compte de ce mouvement, parce qu’il a pris assez d’ampleur pour susciter une vraie discussion au sein de l’institution. Et c’est ça qui peut faire la différence.