Un gros «boum» plutôt qu’un petit «plouf». C’est peut-être ce qui attend les baigneurs du lac de Gérardmer, dans les Vosges. Dans ses tréfonds, l’étendue d’eau à la frontière allemande renferme encore plusieurs dizaines de tonnes de munitions, issues des deux guerres mondiales. Destination prisée par les touristes l’été, le lac à 660 mètres d’altitude en plein cœur des montages attend son nettoyage. Non loin des zones de baignades, toutes sortes d’explosifs de la première et la seconde guerre mondiale sont, 80 ans après la libération, toujours enfouies.
«120 tonnes de munitions» déjà retirées
Entre 1977 et 1994, à la suite d’un accident au cours duquel un homme s’était brûlé avec une grenade au phosphore (élément chimique toxique et inflammable), 12 campagnes de déminages ont eu lieu dans le lac. Un nettoyage a été effectué sur les bords du lac explique Pierre Imbert, adjoint au maire et ancien chef de centre des sapeurs-pompiers de la commune. «120 tonnes de munitions ont été retirées, ce qui représente à peu près 100 000 pièces de diverses munitions de 14-18 et de 39-45», se souvient l’ancien plongeur. Munitions et grenades artisanales ont été récupérées, montées à la surface puis «explosées au bout du lac», explique-t-il.
Les recherches ont dû prendre fin lorsqu’il a fallu explorer les profondeurs, loin du rivage. Dans un courrier adressé à la préfecture, l’association Robin des Bois - en charge de la protection de l’Homme et de l’environnement - estime qu’il reste encore 70 tonnes immergées à Gérardmer. Selon Pierre Imbert, «on ne peut pas évaluer la quantité de munitions qui reste envasée».
Eau potable aromatisée TNT
Avec une profondeur maximale de 38 mètres, le lac a servi pendant et après les batailles à l’enfouissement de l’armement pour l’armée française, qui demandait à ses soldats de le faire de nuit, en cachette. Aujourd’hui, son eau est ponctuellement puisée pour être redistribuée dans le réseau d’eau potable de la ville. En plus du risque d’explosion immédiat, existe celui de la dégradation des composés chimiques contenus dans ces munitions. Des prélèvements réalisés en 2023 par l’association Odysseus 3.1, dédiée à l’exploration et la recherche sur la faune et la flore, ont montré que ces armes généraient une forte pollution.
Lors d’une plongée, l’association a notamment découvert des grenades, certaines encore «intactes» et d’autres «éventrées, laissant échapper l’explosif qu’elles contenaient», expliquait le fondateur de l’association, Lionel Rard, dans le documentaire Vert de Rage diffusé en mai sur France 5. Dans l’émission, les résultats des prélèvements montrent des taux de TNT (explosif puissant) parmi «les plus élevés jamais mesurés par l’équipe de chercheurs allemands» ainsi que des concentrations de «fer, plomb, titane au-delà des normes».
Aucune teneur préoccupante détectée
Le maire de la commune, Stessy Speissmann-Mozas, a saisi l’Agence régionale de santé (ARS) et la préfecture des Vosges. En réponse, «Ni l’ARS Grand Est ni l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) n’ont été associées à ces investigations, et nous n’avons aucune précision sur les méthodes de prélèvement et d’analyse utilisées», a indiqué la préfecture.
En février dernier, une nouvelle campagne de prélèvements, lancée par l’Etat, confirme «les conclusions des campagnes précédentes : aucune teneur préoccupante n’a été détectée». La préfecture ajoute qu’à ce jour «aucun risque sanitaire n’a été identifié» ni pour la consommation humaine, ni pour la baignade.
Malgré ces résultats, le maire demande un changement dans la réglementation de l’eau potable : «S’il y a un danger pour les populations avec cette molécule-là (le TNT), il faut une évolution législative pour que ce soit pris en compte et testé dans la qualité de l’eau». Une société aurait spontanément proposé ses services pour cartographier et identifier les déchets. Un travail à «près de 300 000 euros» qui pourrait être intéressant… «s’il était financé par l’Etat», dit le maire, rappelant que «c’est l’armée française qui a déposé ces munitions».