L’orage est tombé derrière sa fenêtre. Ce lundi 23 septembre au matin, Annick a observé le déluge bien à l’abri, au premier étage de son immeuble du boulevard de la République, à Cannes (Alpes-Maritimes). «C’était brutal et dense, dit la retraitée. C’est tombé en vingt minutes.» Quand elle est descendue, elle a vu «la cave sous l’eau», les commerces «inondés», les voitures «qui flottent». «C’était un fleuve», compare Laurent Boisseau, responsable de l’équipe technique de la ville. Selon Météo France, «l’orage était de courte durée, mais avec de très fortes intensités». Il est tombé 30 à 40 mm sur la ville entre 7 h 20 et 7 h 50. Dont 16 mm en six minutes. «Dix personnes ont fait l’objet de mises en sécurité, essentiellement des automobilistes dans des véhicules emportés», détaille la préfecture. A la mi-journée, Annick déambule avec sa raclette pour aider l’esthéticienne du rez-de-chaussée à éponger, pour épauler la voisine d’à côté qui doit déplacer un scooter noyé. «On ne s’y attendait pas. C’est arrivé soudainement, dit-elle. On n’a pas été prévenus.»
Alerte jaune
C’est aussi le discours de David Lisnard. Le maire Les Républicains de Cannes affirme n’avoir «aucune alerte reçue, aucun modèle météo en anticipation» et invite Météo France à revoir «sa modélisation en amont». S’agit-il d’une défaillance de la préfecture ? Le bulletin de vigilance de Météo France, diffusé à 6 heures, prévenait : «Ces fortes pluies encore attendues sur l’est du Var et sur les Alpes-Maritimes sont isolées, mais intenses». Le niveau de l’alerte, lui, était classé jaune. Or, en cas de vigilance jaune, seule une communication dans la presse et les médias est prévue. «C’est à partir de l’alerte orange qu’on diffuse aux collectivités, aux maires, aux services de secours, aux propriétaires de camping via des automates d’appels qui envoient des SMS et des mails», nous précise le directeur de cabinet du préfet des Alpes-Maritimes, Benoît Huber.
⚠️ Cannes. Aucune alerte reçue, aucun modèle météo en anticipation, une situation gérée sur le terrain par les équipes municipales. Cellule de crise activée ce matin tôt. Consultez Ville de Cannes sur les RS. Rétablissement de la situation dans la matinée. Courage à nous tous pic.twitter.com/Dphvp9Cdta
— David Lisnard (@davidlisnard) September 23, 2024
Comme à chaque fois et par tout temps, les prévisionnistes de Météo France observent les phénomènes, font tourner leurs modèles et soupèsent les alertes. Dès qu’un événement dangereux est repéré, l’organisme public informe les préfets, qui rediffusent ensuite aux collectivités. «Cette chaîne n’a pas été activée en l’espèce car les seuils de déclenchement n’ont pas été atteints», déroule le directeur de cabinet du préfet. A ses yeux, il faudrait tirer les conséquences de cet orage car la saison ne fait que commencer. «Cet épisode doit amener Météo France à revoir les choses, plaide-t-il. Les eaux d’évacuation pluviales étaient saturées, les phénomènes de ruissellement étaient importants. On est bien sous les seuils, mais pour autant il y a des dégâts.»
Secours aquatiques
«On aurait dû être en vigilance orange a minima, voire vigilance rouge, appuie Yann-Vari Lecuyer, directeur général adjoint de l’aménagement urbain à la ville de Cannes. Comme cela, dès hier soir, on aurait armé notre PC communal, informé nos habitants, déconseillé d’emmener les enfants à l’école.» L’orage s’est abattu à l’heure où enfants et parents sont sur le chemin de l’école et du travail. D’après le fonctionnaire, les alertes, départementales, devraient être aussi «mieux sectorisées géographiquement». Sollicité, Météo France assure ne pas souhaiter commenter les «différentes déclarations».
Heureusement à Cannes, les dégâts ne sont que matériels et se concentrent sur le boulevard de la République. Les engins de chantier raclent la boue, les bénévoles nettoient les boutiques, les pompiers assèchent les caves. Les secours aquatiques ont déjà terminé leur travail. «C’est un point bas, expose Yann-Vari Lecuyer, de la ville de Cannes. On a un bassin-versant important qui démarre au niveau de l’arrière-pays grassois. Toute cette eau est arrivée de manière massive. Ici, on est sur l’exutoire avec une déclivité importante.» Avec le ruissellement, des graviers et des branches ont été charriés. L’eau cherche le chemin vers la mer dans cet univers bétonné.
Typique des orages méditerranéens
Les Alpes-Maritimes sont coutumières de ces épisodes violents. «Les cumuls pluviométriques ne présentent rien d’exceptionnel. C’est assez typique des orages méditerranéens, analyse Antony Brunain, fondateur de Météo 06 et chasseur d’orages. Presque 20 mm en vingt minutes, c’est une intensification très forte et très localisée.» Depuis début septembre, deux alertes orange ont déjà été déclenchées dans le département. «C’est assez tôt dans la saison, note Benoît Hubert. Tout cela est lié à la température de l’eau qui reste très élevée. Avec des nuages qui captent les vapeurs émises par la mer, il y a des décharges violentes.»
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Annick habite depuis quarante ans sur le boulevard de la République. La rue a déjà été inondée en 2015 – les pluies diluviennes avaient alors fait 20 morts sur la Côte d’Azur. Ce lundi, l’eau est montée moins haut. Elle repère le niveau grâce à sa boîte aux lettres. «On ne s’habitue pas à ces orages, formule-t-elle. A chaque fois, on est troublé.» Maria, la voisine esthéticienne, est installée depuis 1998 au rez-de-chaussée : «Ça fait des années qu’on a peur. C’est beaucoup d’angoisse, beaucoup de stress.» Quand elle est arrivée dans son salon ce matin, l’eau était déjà redescendue à ses chevilles. Grâce à la raclette d’Annick, le sol est propre. La boutique reste fermée pour la journée. Dans le hall, la boîte aux lettres est entrouverte. Elle sèche.