Des personnes hospitalisées, des routes coupées, des bâtiments dévastés, des voitures propulsées à des centaines de mètres… Plusieurs communes dans l’ouest de la Haute-Marne ont connu ce week-end un orage intense, à l’origine de puissantes inondations. Dans ce département qui avait été placé en vigilance orange par Météo France samedi 20 juillet, «il est tombé dix fois plus de pluie en une heure que lors d’un épisode normal», relate la préfecture. Par endroits, près de 100 mm de pluie se sont abattus en quelques heures.
Le village de Meures, 131 habitants, a été l’«épicentre du phénomène», a expliqué dimanche 21 juillet à BFMTV la préfète, Régine Pam. Le niveau de l’eau y a atteint 1,60 m et, ce lundi 22 juillet, avec la décrue, les habitants ont fait l’inventaire des dégâts. L’hydrologue Eric Gaume, directeur du département de géosciences de l’université Gustave-Eiffel à Nantes, recommande de laisser davantage de place aux cours d’eau pour prévenir ce type de «crue éclair».
La crue qui a dévasté le village de Meures ce week-end est-elle hors du commun, comme l’a dit la préfète de Haute-Marne ?
Ce n’est pas du jamais-vu, mais c’est très exceptionnel pour le nord de la France. Cet événement avait moins d’une «chance» sur 100 de se produire cette année dans ce secteur-là. Le plus surprenant est la quantité de pluie tombée en aussi peu de temps – 100 mm en quelques heures. La crue a concerné le Vazile, un tout petit cours d’eau. Cela rappelle un épisode similaire survenu à Nancy début juin 2010 : deux orages successifs avaient généré les mêmes cumuls de pluies, et un débit très important dans le ruisseau du Grémillon, qui traverse l’est de la ville.
Comment expliquer qu’un petit ruisseau génère la «vague» d’1,6 mètre décrite par les habitants de Meures ?
On parle souvent de «vague» pour décrire la rapidité de la montée des eaux lors des crues éclair mais, dans les faits, on en voit rarement. Là, un mur d’eau n’est probablement pas arrivé dans le village comme un tsunami. En revanche, l’eau est montée très vite, en dix minutes, ce qui a pu donner cette impression de «vague». Il y a deux explications à cela : c’est un épisode brutal et le cours d’eau a répondu rapidement.
En amont de Meures, le bassin-versant – le territoire où s’écoulent les pluies qui alimentent le cours d’eau – couvre seulement 10 km², donc le flux a rapidement convergé vers le village. Dans le nord de la France, la crue la plus emblématique sur un petit bassin-versant de ce type a eu lieu à Mamers, dans la Sarthe, en 1904.
Peut-on parler de «crue éclair» à Meures ?
Oui, on peut parler de crue «éclair» ou «soudaine». Ce terme, introduit en 1976 par l’Association internationale des sciences hydrologiques, correspond à un événement au cours duquel le délai de montée des eaux est inférieur à deux heures dans un petit bassin-versant et qui génère des dégâts importants. Mais il n’y a pas de frontière nette avec le terme générique de «crue fluviale».
La préfète de Haute-Marne a parlé d’une éventuelle rupture d’embâcle, est-ce crédible ?
J’ai des doutes. Une rupture d’embâcle, ce sont généralement des matériaux flottants, comme du bois ou même des voitures, emportés par les écoulements et qui se bloquent pendant la crue. Ils peuvent former un barrage au niveau d’un passage plus étroit, par exemple un pont. Ensuite, ils peuvent rompre pendant cette même crue et libèrent de gros volumes d’eau d’un coup. Or, s’il y avait eu une rupture d’embâcle, des troncs d’arbre auraient été retrouvés partout dans le village, ce qui ne semble pas être le cas. Il n’y a pas besoin de rupture d’embâcle pour expliquer ce qui s’est passé.
Y a-t-il d’autres pistes ?
Oui. D’abord il y a un facteur aggravant à Meures : le ruisseau du Vazile a jadis été recouvert pour le faire passer sous le village. La montée de la crue n’a donc pas été perçue dans un premier temps car elle s’écoulait dans le tunnel souterrain, or quand cet ouvrage n’a plus été suffisant pour absorber le débit, l’eau s’est déversée brutalement dans le village. Cela s’est combiné avec la montée des eaux très rapide provoquée par un orage très intense et soudain.
Le risque de crues éclair augmente-t-il avec le changement climatique ?
Afin de connaître précisément le rôle qu’a pu avoir le changement climatique dans cet événement, il faudra une étude d’attribution. Pour l’avenir, cela est difficile à dire. Les modèles qu’on utilise pour les projections climatiques ont une maille trop grossière pour représenter les orages intenses, souvent très localisés. Dans la région méditerranéenne, les épisodes de pluies intenses le deviennent encore plus. Et comme la température de l’atmosphère augmente, et que pour chaque degré supplémentaire une masse d’air peut contenir 7 % d’humidité en plus, les conditions sont potentiellement plus favorables à l’apparition de forts orages l’été.
Pourquoi allez-vous vous rendre en Haute-Marne avec votre équipe dans les prochaines semaines ?
Les observations de terrain permettront de déterminer quelles quantités d’eau se sont écoulées, quel a été le débit maximum du ruisseau dans le village ou encore par où l’eau a pu passer… Cela est important pour avoir de nouvelles références de crues exceptionnelles dans la région, et donc dimensionner, réaménager Meures et d’autres villages.
Comment peut-on s’adapter à ce risque de crues ?
Nous devons comprendre que nous nous développons au milieu de la nature et que, de temps en temps, il peut y avoir des crues, même là où le débit est d’ordinaire faible. Il faut laisser de la place aux cours d’eau, faire en sorte que les débits puissent s’écouler sans faire trop de dégâts, et donc en premier lieu limiter l’urbanisation dans les zones exposées aux risques. Ensuite, mieux vaut préserver les cheminements naturels de l’eau dans les villes et villages, prévoir des écoulements si possible sans trop d’obstacles, ne pas resserrer les lits artificiellement. Et ne pas recouvrir des portions de ruisseaux. Même si la tentation est forte, cela n’est pas un aménagement très pérenne ni résilient. A Nancy, après la crue, des espaces de liberté des cours d’eau ont au contraire été regagnés, et ce même au centre de la ville. En milieu rural, des pratiques agricoles freinant le ruissellement (couverts végétaux, cultures intermédiaires pour éviter que les parcelles soient nues en hiver…) peuvent aussi aider, mais sont surtout efficaces pour des épisodes de crues modérées.
Le manque d’entretien des cours d’eau est souvent pointé du doigt, est-ce pertinent ?
On cherche des explications simples pour avoir l’impression de garder une prise sur des phénomènes naturels, mais ce n’est pas ce qui est en cause. Lors des crues exceptionnelles, quel que soit l’entretien du cours d’eau, les débits seront importants. Le fait d’avoir des berges avec une végétation assez dense peut au contraire ralentir les écoulements pour les crues modérées, et donc avoir un effet positif.