Menu
Libération
Rapport

«Invivable sous canicule» : en prison, les détenus surexposés au changement climatique

Surpopulation, vétusté des bâtiments, manque d’aération… Un rapport inédit de l’association Notre affaire à tous révèle la mauvaise adaptation de l’ensemble des prisons françaises aux effets du réchauffement. Un tiers est exposé aux tempêtes, un quart est à risque d’inondation.
Un rapport inédit de l’association Notre affaire à tous révèle la mauvaise adaptation de l’ensemble des prisons françaises aux effets du réchauffement. Le centre pénitentiaire de Béziers (Hérault), le 11 juin. (Romain Costaseca/Hans Lucas)
par Juliette Fekkar
publié le 12 juillet 2024 à 22h04

C’est une double peine. Les détenus figurent «parmi les populations les plus vulnérables» aux risques climatiques en France, révèle un rapport de l’association Notre affaire à tous publié jeudi 11 juillet. «Imaginez quatre détenus dans une cellule faite pour une personne, sous 40 degrés, c’est invivable», alerte sa principale autrice, Chloé Lailler. Elle dénonce des infrastructures pénitentiaires «absolument pas adaptées» au changement climatique, qui mettent en danger la santé et la sécurité des détenus.

D’après le document, près d’un tiers des prisons est exposé aux tempêtes et cyclones. Et plus d’un quart à un risque d’inondation. Mais la canicule constitue la menace la plus fréquente : il concerne l’ensemble des 188 établissements pénitentiaires français. Le contexte carcéral est un facteur aggravant. «La vétusté des bâtiments», «le manque d’aération des cellules» ou «la difficulté d’accès aux douches» renforcent la dangerosité des vagues de chaleur. «Certains détenus ne peuvent en prendre que trois par semaine», souligne Chloé Lailler. Une réalité qui va à l’encontre des recommandations du ministère de la Santé pour faire face aux canicules.

La surpopulation, frein à l’adaptation

Les prisons les plus touchées sont situées dans le sud de la France. Risques de feux de forêts, de températures élevées, de pollution des sols… l’établissement pénitentiaire pour mineurs de la Valentine, à Marseille, se trouve en haut de la liste. Arnaud Robit, adjoint à la direction de cet établissement, reconnaît que les canicules «compliquent la vie aux détenus et au personnel pénitentiaire». Mais il estime que les équipes font déjà «le nécessaire» citant des distributions d’eau, la mise à disposition de ventilateurs pour les personnes sans revenus et la veille renforcée auprès des plus vulnérables à la chaleur. Le responsable, qui a travaillé sur des projets de nouveaux centres de détention, note que les questions de changement climatique, et en particulier de chaleur dans les bâtiments, émergent «de plus en plus». Mais que «pour des bâtiments déjà construits, c’est beaucoup plus compliqué».

Pour Chloé Lailler, la surpopulation carcérale est le frein principal au lancement des travaux d’adaptation dans les prisons existantes. Elle explique qu’il est «quasiment impossible» de trouver des places libres pour loger les détenus durant la rénovation de cellules, ou de bâtiments entiers, alors que le taux d’occupation atteint 200 % dans certains établissements.

Rénovation thermique et végétalisation comme solutions

C’est pourquoi le rapport met l’accent sur la nécessité de prendre en compte les besoins d’adaptation dès la construction de nouvelles prisons. Et d’éviter leur implantation dans des zones submersibles à l’horizon 2100. Mais, jusqu’à maintenant, l’enjeu de l’adaptation «n’a fait l’objet d’aucune politique publique et ne semble pas être pris en compte dans les programmes de construction et de rénovation des prisons», signale le texte, qui rappelle que la France a déjà été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour conditions de détention indignes.

Comme pistes de solutions, le rapport cite la rénovation thermique des bâtiments, la végétalisation des cours de promenade trop souvent bétonnées et la sensibilisation du personnel pénitentiaire aux impacts sanitaires des canicules. L’association Notre affaire à tous appelle aussi les pouvoirs publics à prioriser la fermeture et l’aménagement des prisons identifiées comme les plus vulnérables. Une adaptation «essentielle et urgente», selon Chloé Lailler, qui rappelle que la surexposition des détenus aux risques climatiques constitue un obstacle crucial à leurs chances de réinsertion à la sortie.