Ce jeudi 1er août, l’humanité a utilisé toutes les ressources naturelles que les écosystèmes de la planète peuvent renouveler en une année, selon les derniers calculs du Global Footprint Network. «En seulement 7 mois, l’humanité a utilisé ce que la Terre met 12 mois à régénérer», reformule l’association. L’année dernière, ce «jour du dépassement» était le 2 août. En 2000, c’était le 17 septembre, et en 1971, le 25 décembre. Ce calcule résulte de la notion d’empreinte écologique développée par les chercheurs de l’université de Colombie Britannique Mathis Wackernagel et William Rees. En 1996, ils ont publié ensemble un livre intitulé Notre empreinte écologique : Comment réduire les conséquences de l’activité humaine. Natacha Gondran, professeure en évaluation environnementale à l’école des Mines de Saint-Etienne, explique, pour Libération, l’importance de cet indicateur, ses limites et ses liens avec les limites planétaires.
Que mesure concrètement l’empreinte écologique ?
Il s’agit d’un indicateur de durabilité, il compare ce qu’on consomme et ce qu’on produit. Il se base sur la surface de sol disponible sur Terre. Il compare la surface de sol disponible à celle qui serait nécessaire pour produire tout ce que nous consommons et qui provient des végétaux : la nourriture, bien sûr, mais le coton aussi. Il tient aussi compte de la surface de sol nécessaire pour absorber les émissions de gaz à effet de serre, ou encore la surface de sol artificialisée.
Le jour du dépassement mondial est le 1er août, en 2024, mais le jour du dépassement français était le 7 mai, pourquoi ?
Cette date du 7 mai signifie que si tous les humains adoptaient le mode de vie des Français, alors le jour du dépassement serait le 7 mai. Cela signifie tout simplement que nous, Français, nous consommons, en moyenne, plus que la plupart des autres êtres humains sur Terre.
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Ce jour intervient de plus en plus en tôt et on voit que, en France, si l’empreinte écologique diminue, la capacité de production des sols stagne, pourquoi ?
Vous mettez le doigt sur la complexité méthodologique de cet indicateur. Il agrège beaucoup de données différentes. Par exemple, la météo influe sur la productivité des sols. La méthode de calcul a évolué avec le temps, elle s’est affinée, mais je crois qu’il ne faut pas lui faire dire des choses pour lesquelles il n’est pas conçu. C’est un outil pédagogique d’alerte, par un indicateur de pilotage et de suivi. Il sert à montrer que notre mode de vie excède la capacité écologique de la planète. Et il le fait bien puisque vous m’appelez encore pour en parler.
Ces dernières années le concept de limites planétaires a aussi émergé, quels sont les liens et les différences entre les deux ?
À titre personnel, je ne travaille plus sur l’empreinte écologique, mais plutôt sur les limites planétaires. Le concept me semble plus robuste scientifiquement. Les deux sont portés par des personnes qui veulent communiquer un message clair pour le grand public. Mais ils ne disent pas la même chose.
Les limites planétaires ne disent rien sur la soutenabilité à l’année. Elles disent que le système Terre s’approche, ou dépasse, des seuils critiques qui vont conduire à un changement d’état d’équilibre. Je m’explique. La Terre est modélisée comme une interaction entre plusieurs éléments : la biosphère (les êtres vivants), l’hydrosphère (les océans), l’atmosphère, etc. C’est un système physique dans un état d’équilibre depuis plusieurs milliers d’années. Au sein de ce système on peut modifier certains paramètres, comme la concentration en CO2 dans l’atmosphère. Mais au-delà d’un certain seuil, une limite est franchie, et l’équilibre du système est menacé. Cela signifie que les conditions qui rendent la terre habitable vont être modifiées.
Est-ce que l’on peut dire qu’il y a un lien entre l’empreinte écologique et les limites planétaires ? Pour reprendre l’exemple du CO2, l’empreinte écologique nous dit que nous émettons plus de CO2 que la Terre ne peut en absorber pendant un an. Si la tendance se maintient, on finit par dépasser la concentration critique de 350 parties par millions de CO2 dans l’atmosphère, c’est cela ?
Exactement. L’un nous dit si notre budget annuel est à l’équilibre, l’autre nous informe sur le montant total de notre dette. Le jour du dépassement nous alerte depuis plusieurs années que l’on vit à crédit. Les limites planétaires nous disent que la banque ne va pas tarder à nous virer.