A quel point le changement climatique est-il responsable des ravages agricoles causés par le gel tardif cette année ? C’est ce que le réseau international de scientifiques World Weather Attribution vient d’élucider. Et ce un mois après la vague de froid qui a entamé les perspectives de récoltes pour nombre d’agriculteurs. L’événement qu’ils ont analysé a été «probablement la plus grande catastrophe agronomique de ce début de XXIe siècle», dixit le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie. Début avril, en Europe, les températures ont plongé pendant quelques jours, parfois jusqu’à -5°C. Pile au mauvais moment : les vignes et les arbres fruitiers, entre autres, venaient de se parer de fragiles bourgeons. Les pertes pour la viticulture et l’arboriculture ont été estimées à plus de 4 millions d’euros, selon la FNSEA.
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Un groupe de scientifiques, de l’Institut Pierre-Simon Laplace (issus du CNRS et CEA), de l’Institut météorologique royal des Pays-Bas, de l’Université d’Oxford, de l’Institut Max Planck de bio géochimie d’Iéna et de Météo France a donc analysé la part de responsabilité du changement climatique dans cet événement météo extrême. L’étude qui en résulte, publiée ce mardi, établit que le changement climatique a augmenté d’environ 60 % la probabilité qu’une vague de froid survienne en période de bourgeonnement cette année.
Nature plus précoce
Les scientifiques expliquent d’abord que les vagues de froid sont devenues moins probables et moins intenses qu’au XXe siècle parce que les températures se réchauffent de plus en plus. «Sans le changement climatique d’origine humaine, de telles températures en avril auraient été encore plus basses de 1,2 °C», pointe l’étude. Le gel tardif fait cependant plus de dégâts s’il se manifeste car le réveil de la végétation s’est décalé. Il apparaît plus tôt dans l’année à cause des hivers devenus globalement plus chauds. Ainsi, plus précoces, les plantes ont davantage de chances de croiser des températures mortelles pour leurs bourgeons. «Cette année, on a eu un double phénomène : d’abord une vague de chaleur exceptionnelle en mars et une vague exceptionnelle de froid qui l’a suivie. C’est la conjonction des deux qui a produit ces impacts», a expliqué le climatologue Robert Vautard, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace de recherche en sciences de l’environnement, lors de la conférence de présentation de l’étude.
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Pour en venir à ces conclusions, les scientifiques ont axé leurs recherches sur les vignobles de Champagne, de la Vallée de la Loire et de la Bourgogne, des zones «particulièrement vulnérables aux changements climatiques», précise l’étude. Ils ont aussi passé les données au moulinet de 132 modélisations climatiques. «Notre étude illustre parfaitement que le changement climatique affecte l’ensemble du système climatique. Ceci entraîne des menaces qui peuvent être inattendues et qui vont au-delà des vagues de chaleur, des sécheresses et des inondations avec des amplitudes et des taux de changement différents», commente de son côté Friederike Otto, directeur associé de l’Institut du changement environnemental de l’Université d’Oxford.
La méthode utilisée permet également de se projeter dans le futur. Les modélisations prévoient une «intensification» des épisodes tels que celui d’avril 2021. Dans les décennies à venir, la probabilité de gelées survenant pendant la période de croissance des cultures devrait encore augmenter de 40 %, si le réchauffement de la planète se limite à 2 °C comme le prévoit l’accord de Paris. Preuve que les agriculteurs ne sont pas au bout de leurs peines. Ces prévisions devraient leur permettre de mieux anticiper les prochaines crises et de faire évoluer les assurances censées compenser les pertes.