Comme tous les matins, ce vendredi 22 septembre, Arnaud Allari a sorti son bateau du port de Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes). Il a largué ses filets à 4 heures du matin dans la légère houle de la Méditerranée, et il les relèvera dans la soirée. Entre ces deux sorties au large, il assiste aux Assises de la pêche et des produits de la mer à Nice. Son bateau de 9 mètres consomme entre 500 et 600 litres de gazole par semaine. Alors, quand le secrétaire d’Etat à la Mer Hervé Berville confirme la suppression de l’aide au carburant, Arnaud Allari se lève. Avec les pêcheurs de l’hémicycle, il quitte la salle. «Les entreprises de pêche n’ont plus de trésorerie pour surmonter un choc minime, expose Olivier Le Nézet, président du comité national des pêches. L’urgence est de sauver une filière historique non délocalisable avec un effet domino des producteurs jusqu’aux consommateurs.» Il demande à être reçu par le président de la République «dans les plus brefs délais» face à cette «crise aiguë et urgente».
Depuis mars 2022, face à la flambée du prix du carburant, les pêcheurs sont soutenus par l’Etat. Ils reçoivent un apport de trésorerie de 20 centimes par litre de gazole, soit 75 millions d’euros d’aide au carburant. Une béquille qui s’arrêtera le 15 octobre. Devant une assemblée encore pleine, Hervé Berville projette en réponse une «réduction à la pompe de 13 centimes» sur le biocarburant par les énergéticiens. «Cette réduction, c’est du concret, c’est du tout de suite, rassure-t-il à la sortie. Si ça fait 30 ans qu’on a des crises énergétiques de la pêche à répétition, pourquoi ? C’est parce que nous ne produisons pas de pétrole. Et donc il y a deux angles sur lesquels il faut attaquer : c’est verdir ce carburant et c’est cette réduction à la pompe.» Il lance un «plan de transition énergétique de la flotte» de 450 millions d’euros sur dix ans tablant sur le «verdissement du carburant maritime», les «investissements sur les navires» et «l’évolution des ports».
«On ne peut pas travailler à perte»
Avec l’aide actuelle, Arnaud Allari paie son carburant 1,14 euro le litre. «Plus je vais en mer, plus je pêche. Et plus je consomme», constate-t-il, lui qui est issu d’une lignée de cinq générations de pêcheurs. Grâce à son «moteur dernier cri de 450 chevaux à 50 000 euros», il tentera le biocarburant. «Mais j’espérais un prolongement des aides. Et que le ministre vienne voir comment ça se passe avec nous, la petite pêche.»
Tribune
Les chalutiers restent les plus affectés par la mesure. Représentant 80 % des débarquements, ils consomment deux tonnes de gazole par jour. Daniel Lefèvre a embarqué pour la première fois en 1968. Depuis son port de Cherbourg, il a vécu les crises successives. «Le gazole représente 40 % des charges, compte ce président d’une coopérative d’armement. Le carburant est un élément déclencheur des crises.» D’autant que le salaire des marins dépend du prix du gazole, un chalutier rémunérant à la part. «En plus, aujourd’hui, la filière manque de visibilité, pointe Daniel Lefèvre. Il arrive que des bateaux fassent des marées négatives, sans couvrir les frais. On ne peut pas travailler à perte. Il faut des aides.» Il cite une succession d’autres contraintes qui ont pesé sur la profession : le Covid, le Brexit, «l’empilement de réglementations».
«Cri d’alarme»
D’autres évoquent le dérèglement climatique, le développement des aires marines protégées, les parcs éoliens, les campagnes de protection des cétacés. Dans la coopérative de Daniel Lefèvre, un bateau de 25 mètres vient de sortir de la flottille. «C’est toute une filière qui est touchée, relève-t-il. Derrière, il y a les coopératives, les criées, le mareyage.» Et aussi les mécaniciens à bord, les métiers de bouche, les grands restaurants.
«Les entreprises de pêche, c’est aux alentours de 3 500 navires en métropole, table Olivier le Nézet. Au-delà du nombre de navires, c’est plusieurs dizaines de milliers de personnes qui vont être affectées. Le choc énergétique ne doit pas faire disparaître toute une filière.» Il veut sauver «le made in France dans vos assiettes». Pour Yannick Calvez, président du comité des pêches et de l’élevage marin du Finistère, les propositions d’Hervé Berville sont «de l’enfumage». Lui aussi s’est levé. «Ce départ de la salle, c’est un cri d’alarme, ajoute une actrice de la filière qui souhaite rester anonyme. Il n’y a eu aucune concertation, c’est un abandon total.»