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Environnement

Le patron de Patagonia refuse de vendre sa boîte et la met à profit en faveur de l’écologie

Yvon Chouinard, le fondateur de la marque de vêtements de plein air, a décidé de transférer ses parts de l’entreprise à un trust chargé de reverser l’intégralité des profits à une association de lutte contre la crise environnementale.
Yvon Chouinard, PDG de Patagonia, en 2019. (Ben Gabbe/Getty Images. AFP)
publié le 15 septembre 2022 à 18h47

«Je n’ai jamais voulu être un homme d’affaires. J’ai commencé comme artisan, en fabriquant du matériel d’escalade pour mes amis et moi-même avant de passer aux vêtements.» Ces quelques mots, écrits par le fondateur de Patagonia, Yvon Chouinard, publiés mercredi soir sur le site Internet de la marque, servent de prélude à une lettre ouverte au sein de laquelle l’entrepreneur résume l’avenir de son entreprise.

A 83 ans, le grimpeur et alpiniste américain connu pour ses prises de position en faveur de l’écologie, aurait pu vendre sa société, créée il y a près de cinquante ans et valorisée trois milliards de dollars selon le New York Times. Il aurait également pu la faire entrer en Bourse. Pourtant, aucune de ces options ne satisfaisait Yvon Chouinard. Selon lui, la vente ne garantissait ni le maintien des valeurs de l’entreprise, ni celui des équipes dans le monde et une entrée en Bourse aurait été synonyme de «véritable catastrophe». Car «une fois cotées en bourse, même les entreprises ayant les meilleures intentions du monde font le choix du gain à court terme plutôt que de penser responsabilité et croissance à long terme», déplore l’entrepreneur dans sa lettre ouverte.

Escalade respectueuse de l’environnement

Alors, en accord avec sa femme et ses deux enfants, il a plutôt décidé de transférer l’intégralité de leurs parts à un trust fiduciaire, chargé de veiller à ce que ses valeurs soient respectées et à ce que tous les bénéfices de l’entreprise – qui s’élèvent à près de 100 millions de dollars par an –, soient utilisées pour lutter contre le changement climatique. Cette démarche entend aussi préserver la conception qu’a l’entrepreneur du bien-être au travail. En effet, Yvon Chouinard est connu dans le monde du management pour avoir déployé des initiatives novatrices en termes de gestion du personnel. A titre d’exemple, ses employés ont la possibilité de prendre deux mois de congés sabbatiques payés pour mener à bien une action en faveur de l’environnement.

Il ne s’agit pas de la première initiative d’Yvon Chouinard en faveur de l’écologie. Au début des années 70, quelques mois seulement après la création de Patagonia, le grimpeur décide de remplacer les pitons en acier qui abîment la roche par des coinceurs en aluminium, se faisant ainsi pionnier d’une escalade plus respectueuse de l’environnement. Choix scrupuleux des matières premières, utilisation de coton biologique, recyclage, réparation ou encore revente des équipements usés : les méthodes employées par l’entreprise témoignent de sa volonté de limiter son impact environnemental. Patagonia avait également pris l’engagement de reverser 1 % de ses ventes chaque année à des ONG environnementales, notamment à travers la fondation du collectif 1 % for the Planet.

Communication contreproductive

Plus récemment, en 2011, l’entreprise publiait dans le New York Times une publicité qui, à l’occasion de la saison du Black Friday, exhortait ses clients à ne pas acheter l’une des vestes phares de la marque. «Nous vous demandons d’acheter moins et de réfléchir avant de dépenser un sou sur cette veste ou quoi que ce soit d’autre», pouvait-on lire sur la publicité. «N’achetez pas ce dont vous n’avez pas besoin», ajoutait l’annonce, précisant qu’il avait fallu 135 litres d’eau et 20 livres de CO2 pour fabriquer chaque unité. Une campagne de communication chargée de bonnes intentions, mais somme toute assez contreproductive puisque la publicité ne fit qu’attiser les convoitises des consommateurs.

Par ailleurs, avec près de 100 millions d’euros de bénéfices par an, celui qui se présente comme un fervent défenseur de la cause écologique est devenu, peut-être à son corps défendant, un acteur non négligeable du consumérisme. Et à ce propos, si le président du conseil d’administration de Patagonia, Charles Conn, a salué les entreprises qui créent «le prochain modèle de capitalisme grâce à un engagement profond envers leur raison d’être», il est peut-être antinomique de penser qu’une entreprise reposant sur des ressources naturelles qui se raréfient puisse être compatible avec la crise environnementale. D’autant plus lorsque le but est d’attirer «plus d’investissements, de meilleurs employés et une fidélité plus profonde de la clientèle».

«Si notre but est une planète ou la vie prospère – et non plus gérer une entreprise – chacun d’entre nous devra prendre ses responsabilités. Nous avons pris les nôtres», conclut finalement Yvon Chouinard dans sa lettre. Or, si le dernier engagement pris par le fondateur de Patagonia demeure intéressant, l’alpiniste se félicite sans doute un peu tôt d’une initiative qui ne saurait suffire à répondre aux défis de l’urgence climatique.