Il est peu probable que les rayons de viande et de charcuterie soient remplacés ces prochains temps par des étals de criquets et de larves. Une étude, publiée le 23 juin dans la revue Nature NPJ Sustainable Agriculture, révèle que les efforts déployés pour encourager la consommation d’insectes dans les pays occidentaux ont échoué.
Ces dernières années, les insectes d’élevage ont été présentés comme une solution plus écologique que la viande. Car dans le monde, l’agriculture, et en particulier l’élevage, est à l’origine de 12 % des émissions de gaz à effet de serre, en plus de participer à la déforestation et à la pollution de l’eau.
Néophobie alimentaire
Malgré le moindre impact sur l’environnement de la production d’insectes, les populations des pays occidentaux restent dégoûtées à l’idée de manger fourmis, vers de farine ou grillons, notamment parce que cela n’est pas dans les traditions. Plusieurs études montrent que les consommateurs y sont peu enclins à tester les insectes comestibles : moins de 30 % en général. Un sondage réalisé en 2021 au Royaume-Uni confirme ce chiffre. Seulement 26 % des personnes interrogées se disent prêtes à essayer, contre 60 % lorsqu’il s’agit des protéines d’origine végétale. Même en France, où l’on mange des gastéropodes comme les escargots, jugés repoussants ailleurs, la population reste réticente à s’ouvrir aux insectes.
«Il y a un fort dégoût pour ces aliments à cause de leur texture et de leur goût, détaille Dustin Crummett, coauteur de l’étude et directeur général de l’Insect Institute aux Etats-Unis – une organisation à but non lucratif qui mène des évaluations au sujet de l’élevage d’insectes. A cela s’ajoutent la néophobie alimentaire, c’est-à-dire la réticence à tester quelque chose de nouveau et l’absence de connaissances sur la façon de les cuisiner.»
Même face à des aliments transformés à base d’insectes, comme les chips ou les pâtes, une étude montre que seulement 37 % des consommateurs sont disposés à essayer les snacks, 26 % les plats et 23 % les desserts. Et lorsqu’il s’agit de plats à base d’insectes non transformés, où l’on peut voir leurs pattes par exemple, le chiffre tombe à 1 %.
En raison notamment de cet effet «beurk», indiquent les chercheurs, la majorité des entreprises ont abandonné le marché des insectes destinés à la consommation humaine au profit de celui destiné à nourrir le bétail et les animaux de compagnie. «L’industrie a pris cette direction parce que les gens n’ont pas été intéressés par la consommation d’insectes», précise le chercheur.
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Or cette utilisation pour l’alimentation animale n’est ni durable ni compétitive d’un point de vue économique, car elle rajoute un maillon dans la chaîne alimentaire : la nourriture donnée aux insectes – essentiellement des plantes – pourrait être directement donnée aux animaux d’élevage.
«Substituts d’origine végétale»
Face à ces constats, Dustin Crummett soutient qu’il n’est «plus pertinent de promouvoir les insectes comme alternative à la viande», alors que la proportion de végétariens et végans reste faible et que la consommation de protéines carnées va augmenter de 9 % en 2032 par rapport à 2022 selon les projections de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Les viandes d’origine végétale semblent beaucoup plus prometteuses. Elles ont «la plus haute acceptation par les consommateurs – jusqu’à 91 %» de toutes les autres sources de protéines, selon le co-auteur de l’étude.
Pour Dustin Crummett, l’exemple du Danemark illustre la voie à emprunter : «Le gouvernement danois a dévoilé un plan en 2023 pour réduire la consommation de viande et promouvoir les substituts d’origine végétale. Ils ont travaillé avec les éleveurs, dont ils ont obtenu le soutien. Je pense que ce genre d’initiative est beaucoup plus prometteur que d’essayer de promouvoir les insectes.» Avant de conclure que le défi n’est pas de trouver une source de protéines plus durable, «elles le sont toutes par rapport à la viande traditionnelle», mais de faire accepter aux populations de changer leurs habitudes alimentaires.