Ce printemps, plus d’un million de touristes sont à nouveau attendus à Keukenhof, aux Pays-Bas, le plus grand parc floral au monde. Lors de sa réouverture, jeudi 20 mars, 20 000 personnes se sont pressées dans ce Disneyland néerlandais des jacinthes, des jonquilles, des roses, et surtout des tulipes. Si la fleur reste l’une des plus achetées du monde et un business profitable pour le royaume, premier producteur mondial, la folie de la tulipe qui l’a agité au XVIIe siècle, donnant lieu à l’une des premières bulles spéculatives de l’histoire, semble loin.
Native du Pamir chinois, elle a d’abord été cultivée en Orient. Les sultans ottomans, notamment Soliman le Magnifique à partir du XVIe siècle, en ont garni leurs jardins. Des bulbes, offerts en cadeaux, sont ensuite arrivés jusqu’en Occident. Les botanistes hollandais sont tombés sous le charme de la fleur ornementale exotique et ont commencé à l’importer. «Les riches bourgeois avaient envie de beaux jardins sur le modèle de ceux de Constantinople. Les commerçants y ont vu une opportunité de profit, des navires ont chargé des caisses entières de bulbes depuis l’empire ottoman, achetées avant même leur arrivée», relate Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences en économie monétaire et bancaire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Une véritable «tulipomania» s’empare du pays à partir de 1634. Les prix s’envolent : un seul bulbe de Semper Augustus, variété de tulipe tigrée blanche et rouge, la plus convoitée, peut atteindre 3 000 florins. Soit le prix d’un carrosse neuf, de deux chevaux gris et de leur harnais, ou de plusieurs tableaux de Rembrandt.
Le «krach de la tulipe»
Mais cet amour fou ne dure que trois ans : en 1637, survient le «krach de la tulipe». «Les prix sont devenus délirants, les ventes ne suivaient plus. Les marchands, qui achetaient les cargaisons en espérant les vendre plus cher, n’arrivaient plus à rembourser leurs dettes et la bulle a éclaté, déroule Jézabel Couppey-Soubeyran, qui évoque l’épisode dans son livre Chroniques critiques de l’économie (Bréal, 488 pp., 18 €). Certains historiens disent que cela a entraîné une dépression aux Pays-Bas, d’autres qu’il n’y a pas eu tant de conséquences que cela. Il y a débat.»
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Aujourd’hui, aux Pays-Bas, la controverse porte plutôt sur les quantités énormes de pesticides déversées sur les champs de tulipes, au détriment des agriculteurs, des riverains, des fleuristes et de l’environnement. Les scientifiques ont remarqué que les cas de maladie de Parkinson augmentaient particulièrement chez les habitants proches des champs.
Ce qui ne fait pas débat, en revanche, c’est que l’engouement pour la tulipe demeure. «Le fantasme des grands bourgeois du XVIIe siècle qui avaient nourri la tulipomania est toujours un peu diffus, conclut l’économiste. Les tulipes évoquent les jardins de Constantinople, c’est chargé d’histoire et ça explique peut-être pourquoi elles sont encore très prisées.»