A la COP28 de Dubaï, aux Emirats arabes unis, les militants pour le climat veulent donner de la voix, pour maintenir la pression sur les Etats durant la dernière ligne droite des négociations. Ce samedi 9 décembre, une journée de mobilisation de la société civile est au programme officiel. Mais seulement à l’intérieur de l’enceinte de l’ONU, le sommet se tenant dans un régime autoritaire hostile aux manifestations. Directeur de campagne de l’association internationale 350.org, Nicolas Haeringer déplore que cette pression sur la liberté d’expression, déjà subie lors d’éditions précédentes du sommet mondial sur le climat.
Pourquoi la manifestation se tient-elle dans l’enceinte du sommet climat ?
Par le passé, les mobilisations ont le plus souvent eu lieu à l’extérieur, et le nombre de participants était bien plus important, mais comme nous sommes cette année dans un pays où nous n’avons pas le droit de manifester, le seul endroit sûr est ici, dans la «zone bleue», dans l’enceinte de l’ONU. C’est un problème, évidemment. Lors de la manifestation, les revendications seront centrées sur les négociations et la justice climatique. Si nous avions pu manifester à l’extérieur, nous aurions élargi à d’autres sujets plus délicats, tels que la Palestine.
L’an dernier aussi, en Egypte, les manifestations ont été très encadrées. A quelles règles êtes-vous soumis au sein de la COP ?
Pour la deuxième fois, nous sommes forcés de rester à l’intérieur. Les règles sont toujours les mêmes en «zone bleue» : nous avons le droit de manifester, sauf les trois premiers jours pendant le sommet des dirigeants ; il est interdit de mentionner le nom d’un Etat en particulier, ni celui de telle ou telle entreprise. Donc si on fait une action contre le projet pétrolier Eacop de Total [en Tanzanie ndlr], on n’a pas le droit de prononcer les mots «Eacop » et «Total», on est obligé d’utiliser des périphrases… Cette année, il y a des règles supplémentaires : pas le droit d’apporter de drapeaux en guise de soutien, par exemple pour les pays du Pacifique. Pour évoquer le sort des Palestiniens, on a donc utilisé des pastèques [qui, historiquement, ont servi à représenter le drapeau de la Palestine, lorsque déployer celui-ci dans l’espace public a été interdit, notamment en Israël]. Il est à espérer que l’ONU adopte à l’avenir des critères plus contraignants sur la question des droits humains pour choisir les futurs pays hôtes.
C’est-à-dire ?
Les règles seraient de s’assurer que chaque délégué puisse participer pleinement à la COP, sans restriction aucune, notamment de visa, et que la possibilité de manifester soit garantie à l’extérieur de l’enceinte du sommet, ou que les restrictions soient levées à l’intérieur. Nous avons organisé un événement avec un opposant émirati en exil, qui a participé à distance : c’est le seul moment de cette COP qui a permis d’entendre une voix dissidente, et ça n’est pas normal. Sortons de l’hypocrisie : la présidence émiratie n’est pas seule en cause, les Nations unies en sont collectivement responsables.
Avez-vous l’impression que la voix de la société civile est malgré tout entendue ?
Oui, mais elle ne l’est jamais assez, ou du moins pas assez par rapport à celle de pays qui ont une grande influence dans les négociations. Pour éviter que l’intérêt pour ces discussions, ennuyeuses, ne s’amenuise, il est important que des actions puissent être menées, que des paroles puissent être entendues. Cela permet d’humaniser des discussions trop techniques.
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Il est loin le temps des marches citoyennes massives dans la ville hôte…
La dernière grande et belle manifestation lors d’une COP a eu lieu à Glasgow, en 2021, avec une forte présente syndicale. Depuis deux ans, les sommets ont lieu dans des régimes qui ne respectent pas la société civile. Mais même dans les pays du Nord, ça ne se passe pas forcément bien. En France, François Hollande a lui même reconnu qu’il avait utilisé l’état d’urgence pour contenir les militants, à la COP21 en 2015. Lors de celle de 2018, à Katowice, en Pologne, plusieurs militants avaient été bloqués et détenus à la frontière sans justification, et n’avaient pu assister à la COP. A Copenhague, en 2009, j’ai passé une journée en garde à vue pour une manif pourtant autorisée… Quand on voit la criminalisation croissante des militants, on peut craindre que, lors des prochaines COP qui seront organisées en Europe, nos marges d’expression soient restreintes.
Ce contexte dissuade-t-il une partie des associations de venir aux COP ?
D’abord, beaucoup de COP ont été organisées en Europe depuis l’accord de Paris. Il y a eu Bonn, en Allemagne, Katowice en Pologne, Madrid en Espagne… Donc on a eu l’impression qu’il était facile d’y aller. Il était possible d’éviter l’avion et de se déplacer en train. Mais ce n’est pas le cas pour les délégués du Sud, qui chaque année se posent la question de venir, à cause des visas. Ensuite, ce genre de COP dans un pays contesté renforce la césure au sein même du mouvement pour le climat. Il y a un clivage de plus en plus fort entre les organisations qui suivent les négociations, car il leur est impensable d’abandonner cet espace, par exemple pour les peuples des îles ; et les autres, qui boycottent. Ce rejet des COP vient contrecarrer ce qui avait été la clé de voûte de l’accord de Paris, en 2015, à savoir une alliance entre le politique, les scientifiques et la société civile. Cet esprit a volé en éclat, il y a une défiance croissante de notre côté. Il faut arriver à se remobiliser ensemble.