Chercheur en psychologie sociale à l’université Gustave-Eiffel (Seine-et-Marne) basé à Lyon, Frédéric Martinez étudie les mécaniques à l’œuvre dans les choix de moyens de transport plus durables, et notamment les axes de communication à privilégier pour changer les pratiques.
Qu’est-ce qui motive quelqu’un à changer son comportement en matière de mobilité ?
Il faut déjà que soit ouvert un nouveau champ de possibles et qu’il y ait une intention de changement. Il y a une dialectique entre les motivations générales d’un côté et, de l’autre, des motivations plus immédiates et personnelles : allergies, pollution, santé, activité physique, pouvoir d’achat. Ensuite, c’est à l’Etat et aux collectivités de prendre en charge les infrastructures nécessaires pour concrétiser ces intentions.
Or quand on propose des messages de sensibilisation, on constate que les personnes qui utilisent intensivement leur voiture sont plus sensibles aux discours sur ce qui les touche concrètement. Les discours plus généraux, axés sur la planète et le climat, parlent davantage à ceux qui sont déjà convaincus par de nouvelles pratiques.
Enquête
Quel rôle jouent les initiatives de promotion des mobilités douces ?
Selon moi, l’enjeu central, c’est «l’auto-efficacité», c’est-à-dire la capacité d’une personne à être convaincue qu’elle est déjà capable de faire autrement et que ça fonctionne. Un des leviers pour cela, c’est justement de l’avoir déjà expérimenté. Un autre enjeu est de faire la démonstration que le changement de mode de transport n’entraîne pas de perte de temps. Ce qui limite l’utilisation du vélo à assistance électrique au-delà de 15 kilomètres. C’est là qu’entrent en jeu le covoiturage, les transports en commun ou les «vélotos» [des véhicules hybrides à quatre roues, avec pédales et moteur ou assistance électrique, ndlr].
Pointer la responsabilité des automobilistes dans la pollution est-il une bonne manière de les inciter à renoncer à leur voiture ?
La culpabilité est un mauvais ressort, dangereux, car elle provoque souvent une «réactance» : plus c’est interdit, plus on s’y attache. Il me semble beaucoup plus efficace de promouvoir d’abord les gains et le plaisir, sur lequel on insiste trop peu. On peut penser des changements collectifs à partir de motifs individuels. En région lyonnaise, nous avons été surpris de voir à quel point la voiture restait pour les jeunes encore associée à l’idée de «liberté». Je pense que c’est le résultat d’une fausse croyance très ancrée d’indépendance et d’autonomie. Mais un mode de déplacement aussi lourd et coûteux est-il une vraie liberté ? Essence, entretien, contraventions, pannes, pollution : ce sont des dépendances non visibles mais qui coûtent beaucoup d’argent. Il ne faut pas perdre de vue que la première violence sociale, c’est de persister, en pleine flambée de l’essence, à vouloir rendre désirables des véhicules énergivores que l’essentiel de la population ne pourra jamais se payer.