En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur Zep.media, dressent un panorama inédit des jeunes en France. Retrouvez les précédentes publications.
«Je ne veux pas vivre dans le stress pour la planète»
Sofia, 25 ans, en formation à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne)
«Quand je surfe sur TikTok, je ne vois jamais d’images qui parlent du réchauffement climatique, des animaux qui disparaissent… et tant mieux ! Je n’ai pas envie de savoir. Je vis ma vie tranquille. Sur les réseaux, je suis quelques influenceuses américaines, françaises et arabes. Je prends des astuces, des idées make-up, des nouvelles recettes ou des plans dans des pays que je ne connais pas et que j’aimerais visiter un jour. Comme les réseaux marchent avec des algorithmes, je ne vois pas de trucs que je ne veux pas voir.
«Je sais que des animaux vont disparaître ou ont déjà disparu, mais je m’en fiche. Ça ne m’intéresse absolument pas. Ce n’est pas mon problème. Je pense qu’il y a des gens que ça inquiète parce qu’ils aiment bien les animaux. Les chiens, les chats, tout le monde aime ça dans ma famille. Moi, j’en ai peur. Les trucs qui font peur, mais qui sont vrais, je préfère ne pas les voir.
«Les histoires vraies sur les problèmes du climat, ça fait tellement peur… Et je ne veux pas vivre dans le stress pour la planète ! Je préfère regarder des films d’horreur. Conjuring, les dossiers Warren, Scream… Ça, j’adore. Les films d’horreur, ça fait peur… mais ce n’est pas vrai !»
«Nous achetons des vêtements neufs, mais moins que la moyenne»
Sarah, 15 ans, lycéenne à Paris
«Dans ma famille, les vêtements, ça circule ! Le record est tenu par un maillot de foot tunisien. Il est passé de mon oncle à mon frère à moi à ma sœur et aujourd’hui à mon cousin. Et sans doute finira-t-il chez quelqu’un d’autre. De nombreux vêtements que je porte sont à mon grand frère qui a 18 ans. Mes sweats, notamment le gris, et mes t-shirts noirs et blancs.
«Chaque vêtement qui ne me va plus va à ma petite sœur de 11 ans. Mon t-shirt Mickey bleu, offert par mon oncle quand j’avais son âge, aujourd’hui elle le porte. Quand ils ne vont plus à personne, ils sont donnés à mes cousins ou cousines. L’une d’entre elles a une robe qui m’appartenait et qui est aussi passée par ma sœur. Et si le vêtement est en mauvais état, on le jette. Je porte aussi des pyjamas et des gilets de ma mère, mais qu’à la maison. Et des robes de ma grand-mère, en souvenir.
«Mon père, il ne participe pas à cette circulation car le peu qu’il a lui suffit. Et parce que son style ne plaît pas assez à mon frère. Mon frère, lui, porte des tee-shirts basiques, des joggings et des maillots de foot de mon oncle. Je me rappelle encore du jour où ma mère est revenue de chez ma tante avec deux gros sacs de vêtements. A ce moment-là, j’étais trop contente. Nous en achetons tout de même des neufs, mais moins que la moyenne et en privilégiant la bonne qualité, plus durable. La raison pour laquelle je porte des vêtements de seconde main est que ça nous permet d’économiser.»
«Je réfléchis à deux fois avant de prendre l’avion»
Nina, 19 ans, étudiante à Angers (Maine-et-Loire)
«“Et un, et deux, et trois degrés : c’est un crime contre l’humanité !” Ce slogan résonne encore dans ma tête plus de cinq ans après. En 2019, comme beaucoup de jeunes, j’ai manifesté pour le climat. Pourtant, j’ai le sentiment que presque rien n’a changé depuis. J’ai été sensibilisée à la crise écologique et j’ai grandi avec. Mais comme beaucoup, j’ai perdu espoir.
«Au fil du temps, j’ai réduit mon engagement. J’ai l’impression que mes efforts et ceux de mes proches ne valent rien face à l’ampleur de cette crise. Je continue de trier mes déchets. Je réfléchis à deux fois avant de prendre l’avion. J’essaie d’acheter en seconde main et je revends ce que je ne porte plus. Mais malgré tout, la réalité me rattrape. Vivre seule m’a fait renoncer à certains gestes écolos que m’ont transmis mes parents. Le gouffre de la surconsommation suscite une tentation énorme à laquelle je cède souvent.
«Quand je suis chez Zara, c’est toujours la même chose quand je trouve un vêtement qui me plaît. D’un côté, j’imagine mon père d’un air dépité me dire : “Encore un achat super utile !”, avec un fond d’ironie et une forme d’attendrissement. Il sait que cet achat, aussi compulsif soit-il, me fait plaisir. De l’autre, je vois ma sœur se réjouir de ce vêtement qu’elle pourra bientôt m’emprunter. Je finis par céder.
«Je n’avais pas vraiment besoin de cette robe. Elle a été confectionnée à l’autre bout du monde. Elle n’est pas d’une grande qualité et elle aggrave mon bilan carbone. C’est triste mais le plaisir que j’ai à l’imaginer dans mon dressing dépasse ma conscience écologique.
«C’est la même chose pour les voyages. Deux onglets sont ouverts sur mon ordinateur : les sites SNCF et EasyJet. Je navigue de l’un à l’autre comme s’ils étaient en duel. J’hésite. Je sais qu’il est plus responsable de prendre le train. Je suis ahurie de voir que certaines personnes prennent l’avion pour un week-end, pour un concert. Mais je suis loin d’être un exemple d’engagement écologique. Les huit heures de trajet, avec une correspondance et un changement de gare, ne m’enchantent pas. Au contraire, l’heure de vol et le prix attractif du billet d’avion me tentent dangereusement. Mais cette fois-ci, je ne céderai pas… je prendrai le train.»
«Je culpabilise ; maintenant, il faut que j’agisse»
Khadija, 25 ans, salariée à Villepinte (Seine-Saint-Denis)
«Si je culpabilise ? Oui. De plus en plus. Sur ce que je peux acheter, comment ça a été fabriqué, par qui et dans quelles conditions. C’est en regardant les infos que je me suis posé ces questions. Avant je m’en fichais. Quand je voyais un truc pas cher, je fonçais. Maintenant ça m’importe, parce que je sais qu’il y a un impact.
«Je culpabilise quand j’achète des vêtements. Avant, j’achetais sur Shein des coques de téléphone à 2 ou 3 euros, des lunettes de soleil à moins de 5 euros, un ensemble à 20 euros, 20 piercings à 1 euro… Quand j’ai vu que les produits étaient fabriqués par des enfants ou des personnes forcées et mal payées, j’ai commencé à réfléchir… Nous, on est contents, mais derrière, il y a des gens qui souffrent. Ce n’est pas ouf.
«Pour mon fils de 4 ans, j’achète des habits chez Kiabi ou Primark, mais je me demande si ce n’est pas la même histoire que Shein. Je me sens obligée, sinon je ne peux pas l’habiller. Les autres magasins sont trop chers et je ne trouve presque rien pour les enfants sur Vinted. Alors je culpabilise…
«Je culpabilise aussi parce que je ne fais pas assez le tri. Emballages, cartons, plastiques, pots en verre, nourriture, je jette tout dans la même poubelle. Dans ma petite cuisine, je n’ai pas la place d’en mettre une deuxième.
«Et puis, je n’ai pas les moyens d’acheter des produits bio. Bien sûr, je pourrais fabriquer mes compotes, mes lessives, mes pâtes… tout faire maison. Ça a l’air facile mais ça prend énormément de temps. Alors je culpabilise. Mais je me dis aussi que si je culpabilise tant, ça veut dire que je ne suis pas totalement insensible. Maintenant, il faut que j’agisse.»
«Quel plaisir de manger un McDo»
Yann, 15 ans, lycéen à Paris
«Chez moi, notre frigo n’est rempli que de produits bio, locaux ou issus de l’agriculture raisonnée. Par-ci par-là, un Ice Tea, un Oasis et une Vache qui rit se battent en duel. La majorité des sodas que j’ai bus, je les ai découverts ailleurs. A des anniversaires, des fêtes, et surtout dans les sorties avec des potes où la question de l’écologie et de la malbouffe ne se pose pas.
«Une fois, j’ai ramené des Twix à la maison. Ils ont été tolérés mais mal accueillis. Une autre fois, à la place du menu sain et bio du midi, j’ai dévoré un McDo. Le goût était bien meilleur mais beaucoup moins équilibré et écologique. Quel plaisir de manger un McDo plutôt que des haricots verts…
«Les parents de certains de mes amis sont autant investis dans le bio que les miens, mais mes amis sont comme moi. En sortie, on ne va pas se compliquer la vie : on prend un bon kebab bien gras, des bons sodas bien sucrés et on mange sans se poser de question.
«Evidemment, la nourriture “écolo” est la meilleure, même d’un point de vue éthique. Mais elle n’offre pas les mêmes saveurs que celles que l’on trouve uniquement chez Haribo ou Lipton, par exemple. Bref, je suis à moitié écolo à la maison, à moitié pas en dehors. Même si une petite voix me souffle encore, alors que je prends une bouchée de mon burger, “c’est pas bio”, et qu’une autre petite me dit ensuite “c’est quand même bien bon”.»
«Ma grand-mère a un rapport magique avec ses plantes»
Fiohana, 24 ans, salariée à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe)
«Petite, j’adorais aller dans la belle maison bleue et fleurie de mes grands-parents. Entre les bougainvilliers, les palmiers, les songes caraïbes, les orchidées et les fougères, on ne se sentait plus en ville mais dans une jungle enchantée. Deux petites mains vertes ont créé cet environnement et l’entretiennent encore aujourd’hui. Ce sont celles de Mamie So ! Ma maminette qui a une relation bien particulière avec ses plantes.
«“Qu’est-ce qu’elle fait encore ?” Cette question me trottait dans la tête lorsque je voyais ma grand-mère, qui me semblait un peu sorcière, chouchouter ses plantes comme ses propres enfants. Les méthodes d’entretien de Mamie So me paraissaient bizarres et fascinantes à la fois ! Ne serait-ce que la tête de ses jardinières ! C’était pour moi une énorme blague. Je la voyais réutiliser des seaux de serpillière ou des pots de peinture pour y mettre ses plantes. Ne parlons pas de la terre… Si, allons-y ! Parce que c’était complètement dingue de la voir faire des mixtures de terreau avec des épluchures, des peaux de banane ou des coquilles d’œuf… L’arrosoir était plus vieux qu’elle.
«Je ne comprenais pas pourquoi elle se compliquait la vie avec toutes ces procédures, mais le rapport qu’elle a avec ses plantes est véritablement magique. Elle prouve que ces petits êtres sont bel et bien vivants et nécessitent qu’on les entretienne comme il se doit.
«J’ai toujours été fascinée par la beauté de la flore qui m’entoure, sans pour autant me soucier de son entretien. Cependant, quand je me suis installée toute seule en Hexagone à Paris, j’ai ressenti ce besoin d’avoir des plantes dans mon appartement. Des plantes pour me sentir bien et vraiment chez moi. J’ai débuté avec des petits cactus et des plantes grasses pour éviter de les tuer.
«Par la suite, j’ai été de plus en plus sensibilisée à l’écologie via mon entourage. De ce fait, j’ai pris de plus en plus conscience du déclin de la planète et ça me rend très anxieuse. Mais cette anxiété est devenue une sorte de booster pour faire de nouvelles choses : manger moins de viande, acheter de moins en moins de vêtements et de chaussures neuves en privilégiant la seconde main, acheter des appareils reconditionnés… et surtout prendre soin de la terre, notre terre, comme ma Mamie So ! J’aime désormais y mettre les mains, rempoter, arroser et nourrir les plantes. C’est devenu ma thérapie.»
«Je suis en transition écologique»
Nozia, 25 ans, stagiaire à Grigny (Essonne)
«Quand j’avais 13 ans, j’ai choisi de m’engager dans le zéro déchet. Les poubelles, ça pue et ça m’a choquée quand j’ai entendu qu’on les mettait sous la terre, qu’on les brûlait et qu’après ça émettait du CO2. Sur internet, j’ai trouvé la Maison du zéro déchet. J’y suis allée plusieurs fois, mais c’est très loin, c’est à Paris. Ils vendent des récipients en verre, du liquide vaisselle consigné, des livres pour composter et être écolo. Là-bas, j’ai participé à des formations, comme celle sur le compost collectif. A l’école, il y en avait un où on mettait les biodéchets. Je participais à des cours de cuisine et on y mettait les épluchures. A la cantine, on nous disait d’éviter le gaspillage.
«Depuis j’ai beaucoup appris sur Instagram. Je suis des comptes comme @daphneblt qui donne des astuces zéro déchet, @theimpactstory qui donne des bonnes nouvelles de la planète ou @ecolo_me qui donne des conseils pour planter un potager. Je suis en transition écologique. Je réduis mes déchets, j’achète dans des brocantes, j’éteins les lumières et j’essaie de ne pas trop laisser couler l’eau. Mon projet est de mettre en place un compost collectif dans ma résidence. Je fais du porte-à-porte chez mes voisins. Pour soutenir mon projet, ma communauté d’agglomération m’a dit que je devais trouver dix personnes minimum. Pour l’instant, j’en ai six. J’en vise cent !»