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Libération

Dépression active pour l’industrie de l’atome

Accident nucléaire de Fukushimadossier
Depuis la catastrophe de 2011 et le rappel du risque radioactif, l’énergie nucléaire, plombée également par des coûts élevés, subit un coup d’arrêt au niveau mondial.
La centrale de Flamanville, dans la Manche. (Benoit Tessier/REUTERS)
publié le 11 mars 2021 à 6h35

Ce n’est pas tout à fait l’ère glaciaire, mais bien un «hiver nucléaire» que connaît l’atome depuis Fukushima. Dix ans après la catastrophe japonaise, l’essor de cette énergie prométhéenne née de la bombe, qui a essaimé en un demi-siècle sur presque tous les continents, s’est pour ainsi dire brisé net. Selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), on comptait 412 réacteurs nucléaires dans 33 pays fin 2020, contre 429 fin 2010 et 438 en 2002. La mise en service de réacteurs plus puissants par les grands du nucléaire comme les Etats-Unis, la France, la Chine, la Russie et la Corée du Sud, a certes compensé l’arrêt de vieilles centrales. La capacité totale installée a légèrement progressé à 367 gigawatts, contre 365 gigawatts il y a dix ans. Et 52 réacteurs sont toujours en construction, dont 15 en Chine, à travers le monde.

Mais quelques chiffres extraits du World Nuclear Industry Status Report, publié par l’expert critique Mycle Schneider, résument à eux seuls «le déclin, lent mais continu» du nucléaire civil : la part de l’atome dans la production électrique mondiale est tombée fin 2019 à 10,35 % alors qu’elle culminait à 17,5 % en 1996… En France, le pays le plus «nucléarisé» au monde avec 56 réacteurs pour 67 millions d’habitants, elle est tombée l’an dernier à 70 %, «le niveau le plus faible depuis trente ans», contre plus de 80 % dans les années 2000. «Globalement, c’était une industrie qui était déjà en crise grave avant les événements de Fukushima», confirme Mycle Schneider en pointant sa perte de compétitivité par rapport aux énergies renouvelables. A 300 milliards de dollars, le total des investissements en cours sur la planète dans l’électricité renouvelable est devenu dix fois supérieur aux financements pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Dans le camp de l’atome, Myrto Tripathi, présidente des Voix du nucléaire, reconnaît que «de nombreux programmes nucléaires mondiaux ont été mis à l’arrêt ou ralentis partout dans le monde». Mais dénonce «la désinformation et la manipulation des chiffres et des angoisses par les antinucléaires» qui a suivi Fukushima. Et alerte sur un «retard coupable» dans le déploiement d’une énergie qui serait seule à même d’enrayer le réchauffement climatique.

Plus que neuf réacteurs sur 54 au Japon

Le tournant dans la perception de l’atome a bien sûr été le terrible accident de la centrale Tchernobyl en 1986, en Ukraine. Les images des «liquidateurs» envoyés à la mort ont tétanisé le monde. Mais le tsunami qui, vingt-cinq ans plus tard, a provoqué la fusion de trois des quatre réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi a marqué un coup d’arrêt encore plus net. Même s’il n’a pas causé de décès sur le moment, ce deuxième accident majeur (niveau 7) a rappelé la réalité du risque radioactif. Et jeté durablement l’ombre du doute sur la sûreté des installations nucléaires face aux événements météo extrêmes ou à d’éventuelles attaques terroristes.

Au Japon bien sûr, les autorités ont appuyé sur «stop» : l’Archipel ne compte plus que neuf réacteurs en service contre 54 avant le 11 mars 2011. En Allemagne, en Italie ou en Suisse, Fukushima a acté la sortie du nucléaire. Et en France, la catastrophe japonaise a en partie scellé la décision prise, sous François Hollande, d’engager une timide transition énergétique. Décision longtemps différée par les héritiers du «Plan Messmer», mais finalement confirmée par Emmanuel Macron : d’ici à 2035, quatorze réacteurs devraient être arrêtés dans le sillage de la fermeture de Fessenheim en 2020. La part du nucléaire dans la production d’électricité doit ainsi chuter à 50 % au profit de l’éolien et du solaire. Le fiasco de la construction du premier réacteur EPR d’EDF à Flamanville (Manche), et celui du chantier de l’EPR finlandais piloté par Areva, a entamé la réputation du «made in France» : ces projets ont pris dix ans de retard et vu respectivement leurs coûts quadrupler et tripler, par rapport au devis initial, à 12 et 9 milliards d’euros !

Une filière aux 220 000 emplois

Mais la France n’en a pas fini avec l’atome : «Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire», a réaffirmé Emmanuel Macron le 8 décembre au Creusot. EDF demande la construction de six nouveaux EPR pour compenser la fermeture de ses vieilles centrales. Ce qui coûtera au moins 45 milliards mais donnera du travail à une filière qui emploie 220 000 personnes en France. La décision politique ne sera pas prise avant la mise en service de l’EPR de Flamanville, encore repoussée à 2023.

Au final, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que «l’électricité nucléaire sera nécessaire pour des transitions vers des énergies propres à travers le monde», aux côtés des renouvelables. D’ici à 2050, elle prévoit que la capacité nucléaire mondiale pourrait augmenter de 82 %…ou décliner de 7 %. Toute à ses rêves de renaissance, l’industrie de l’atome fourbit, elle, des projets de petits réacteurs «SMR» (300 MW maximum contre 1 650 pour l’EPR) avec l’idée d’alimenter notamment la mobilité électrique des métropoles. Pas gagné sur le plan de «l’acceptabilité», car Fukushima est passé par là.