Va-t-on assister ce mardi à un tournant historique dans la production d’énergie ? Le gouvernement américain doit annoncer dans l’après-midi une «avancée scientifique majeure» dans le domaine de la fusion nucléaire. Depuis des décennies, des chercheurs du monde entier cherchent à la développer, dans le but d’en faire une source d’énergie propre, abondante et sûre. Considérée comme une future alternative possible aux centrales actuelles, elle pourrait, selon ses défenseurs, permettre à l’humanité de rompre avec sa dépendance aux énergies fossiles, responsables du réchauffement climatique.
Le contenu exact de l’annonce américaine reste à confirmer, mais certaines informations ont déjà fuité dans la presse, provoquant immédiatement l’enthousiasme de la communauté scientifique à travers le monde. Selon le Financial Times, des chercheurs du Laboratoire national Lawrence Livermore (LLNL), en Californie, sont pour la première fois parvenus à produire un «gain net d’énergie» grâce à la fusion nucléaire. C’est-à-dire à produire davantage d’énergie que la quantité utilisée pour provoquer cette réaction.
Fusion contre fission
Si cette percée est confirmée, «il s’agit d’une avancée de taille, extrêmement enthousiasmante, a commenté Jeremy Chittenden, professeur de physique des plasmas à l’Imperial College London. Cela prouve que le but longtemps recherché, le Graal de la fusion, peut être réalisé».
Actuellement, les centrales nucléaires utilisent la fission, qui fonctionne en scindant le noyau d’un atome lourd, libérant ainsi de l’énergie. La fusion nucléaire, au contraire, provoque la fusion de deux noyaux légers, pour en former un plus lourd. Cette réaction est celle qui alimente les étoiles, dont notre Soleil. Grâce aux conditions de chaleur et de pression extrêmes qui y règnent, les atomes d’hydrogène fusionnent pour former de l’hélium, produisant au passage une immense quantité d’énergie.
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Sur Terre, ce processus peut être obtenu à l’aide de lasers ultrapuissants. Au National Ignition Facility (NIF), qui dépend du laboratoire californien, pas moins de 192 lasers sont pointés vers une cible aussi petite qu’un dé à coudre, où sont placés les atomes légers d’hydrogène à fusionner. Selon le Financial Times, les scientifiques ont ainsi produit environ 2,5 mégajoules d’énergie, soit environ 120 % des 2,1 mégajoules utilisés par les lasers. Et c’est là l’avancée «majeure», car un tel résultat fournirait enfin la preuve d’un principe physique imaginé il y a des décennies. Il s’agirait ainsi d’un «succès pour la science», a souligné Tony Roulstone, conférencier à l’université de Cambridge.
La fusion présente de nombreux avantages par rapport à la fission : elle ne comporte aucun risque d’accident nucléaire et produit moins de déchets radioactifs. Surtout, par rapport aux centrales à charbon ou à gaz, elle ne génère aucun gaz à effet de serre.
Encore vingt ou trente ans de travail
Le chemin reste toutefois long avant que cette solution ne soit viable à l’échelle industrielle et commerciale. «Pour transformer la fusion en source d’énergie, nous devrons augmenter encore le gain d’énergie, a averti Jeremy Chittenden. Nous devrons également trouver le moyen de reproduire le même effet à une haute fréquence, et pour bien moins cher, avant de pouvoir raisonnablement en faire une centrale.» Ce qui pourrait encore prendre vingt ou trente ans pour aboutir, a estimé Erik Lefebvre, chef de projet des expériences laser au Commissariat à l’énergie atomique français.
D’autres projets de fusion nucléaire sont en développement, notamment le projet international Iter, actuellement en construction en France. Au lieu de lasers, la technique dite de confinement magnétique sera utilisée : les atomes d’hydrogène seront chauffés dans un immense réacteur, où ils seront confinés à l’aide du champ magnétique d’aimants. Malgré le conflit Ukraine, la Russie, qui participe à hauteur de 9,1 % du coût de l’opération, a envoyé début novembre vers la France un des six aimants géants prévus pour mettre en œuvre ce programme. Sur les six bobines prévues avant la première production de plasma espérée en 2026, quatre sont réalisées en Europe de l’Ouest et une autre a été construite en Chine, sous responsabilité européenne.