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Rapport de Greenpeace : les 52 milliards d’euros des six EPR 2 ne seraient-ils pas plus utiles ailleurs ?

Dans un rapport inédit publié ce mercredi 4 octobre, l’ONG estime qu’investir dans les énergies renouvelables permettrait de réduire quatre fois plus d’émissions de CO2 d’ici à 2050 que les six futurs réacteurs nucléaires.

Vue de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, dans l'Aube. (Arnaud Chicurel/Hemis.AFP)
Publié le 04/10/2023 à 17h07

Les sommes d’argent colossales sanctuarisées aux fins de «reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire», selon les mots du chef de l’Etat, pourraient-elles être plus fructueuses ailleurs, pour atteindre nos objectifs climatiques et la neutralité carbone en 2050 ? Priorités d’Emmanuel Macron, les six nouveaux réacteurs nucléaires (dits EPR 2) ne seront pas disponibles avant 2035, voire 2037, et leur coût de construction s’élèvera au moins à 52 milliards d’euros. Alors l’association Greenpeace France s’est posé la question : et si cette enveloppe financière considérable était investie d’une autre manière ? Dans un travail rendu public ce mercredi 4 octobre, l’ONG propose une «analyse comparée» du potentiel de cette même somme si elle était investie dans deux autres champs d’action, à savoir le développement d’infrastructures d’énergies renouvelables (éolien terrestre et panneaux photovoltaïques sur de grandes toitures) et de campagnes de rénovation thermique.

Le but de la manœuvre : mesurer les différences de réduction des émissions de gaz à effet de serre entre ces trois stratégies de transition, et démontrer que le projet de relance nucléaire est loin de répondre à l’urgence de la décarbonation. «Une fois émis, les gaz à effet de serre ont une durée de vie dans l’atmosphère de plusieurs décennies et continuent de la réchauffer longtemps, rappelle l’association militante Greenpeace dans son document. L’enjeu est donc d’éviter leur accumulation dès aujourd’hui, et non de continuer sur une trajectoire d’émissions massives de CO2 en prévoyant de baisser drastiquement les émissions dans vingt ou trente ans, sur la base d’un hypothétique calendrier de construction et de démarrage de réacteurs d’un nouveau modèle, les EPR 2.»

«Fiasco industriel»

Dans un premier scénario, Greenpeace s’est penché sur les répercussions de la «construction d’infrastructures d’énergies bas carbone et renouvelables» à la place des six réacteurs nucléaires. L’ONG estime qu’une utilisation de ces 52 milliards pour le développement d’un «mix 60 % éolien et 40 % photovoltaïques», entraînerait la réduction de quatre fois plus dʼémissions de CO2 dʼici à 2050 que les six EPR2 – tout en produisant trois fois plus d’électricité. «Nos calculs suivent une méthodologie simplifiée par rapport à la réalité, reconnaît Nicolas Nace, chargé de campagne «transition énergétique» à Greenpeace France. Nous n’avons pas pris en compte les coûts associés à la gestion, au stockage ou à l’intermittence du réseau des renouvelables. Comme nous n’avons pas pris en compte toutes les variables qui réévalueraient le financement optimiste du gouvernement pour la construction de ces EPR2. Notre objectif ici, c’est de se rendre compte des ordres de grandeur.»

Ainsi, l’investissement dans les nouveaux réacteurs «pourrait éviter les émissions cumulées de 24 millions de tonnes équivalent CO2, pour une production d’électricité de 530 térawattheures», alors qu’une réallocation financière vers le binôme éolien-photovoltaïque induirait une baisse «de 102 millions de tonnes équivalent CO2, pour une production d’électricité de 1 538 TWh».

Dans une comparaison moins favorable au programme nucléaire, c’est-à-dire «en cas de dérapage, même modéré, des délais (+ deux ans) et des coûts (+35 %) de construction prévus pour les six EPR 2», l’ONG certifie que cette différence s’agrandirait de manière significative. Dans cette hypothèse, le mix éolien-photovoltaïque permettrait, à l’horizon 2050, de réduire huit fois plus d’émissions de CO2 que les nouveaux réacteurs nucléaires, tout en produisant cinq fois plus d’électricité. «Compte tenu des délais de conception, de construction et de mise en service illustrés par le fiasco industriel de lʼEPR, aucun effet positif sur la réduction du contenu carbone […] ne peut être attendu grâce à ces nouveaux réacteurs nucléaires avant, au mieux, 2037 [l’exécutif, de son côté, dit vouloir tenir son engagement d’une première mise en service 2035, ndlr]. Pourtant, EDF et le gouvernement sont prêts à y investir des dizaines de milliards. Est-ce vraiment un choix judicieux ? L’impact du nucléaire sur la réduction d’émissions de CO2 sera nul pendant au moins les quinze prochaines années, pourtant cruciales pour atteindre la trajectoire fixée dans le cadre de l’accord de Paris», développe le rapport.

«Enjeu de justice pour tous»

A défaut de les attribuer à l’éolien et au photovoltaïque, ces milliards d’euros fléchés pour les six nouveaux réacteurs pourraient, d’une autre façon, être mieux utilisés s’ils servaient la cause de la rénovation énergétique, défend Greenpeace. En France, le secteur du bâtiment est responsable de 16% des émissions de gaz à effet de serre du territoire. «Le montant total des subventions publiques nécessaires à la rénovation performante de l’ensemble des logements passoires énergétiques dans la prochaine décennie sʼélève à près de 85 milliards dʼeuros», évalue le rapport. Selon les calculs de l’ONG, engager ces 85 milliards d’ici 2033 aurait pour effet «dʼéconomiser plus de 156 millions de tonnes équivalent CO2» en 2050. «Soit six fois plus dʼémissions de gaz à effet de serre évitées quʼun investissement dans les EPR2, détaille Nicolas Nace. 52 milliards ce n’est pas 85 milliards, mais si on rajoute les 20 milliards de coûts de financement estimés pour ces réacteurs, et les possibles réévaluations en fonction de l’inflation ou du retard des travaux, on arrive quasi à la même somme. Avec douze ans de retard, lʼEPR de Flamanville affiche une augmentation de son côté de +479 %.»

Cette nouvelle affectation des financements serait d’autant plus bénéfique qu’elle permettrait de faire baisser la consommation électricité d’environ 19 térawattheures chaque année, assure Greenpeace, «soit environ la production électrique annuelle de deux EPR 2». Tout en faisant sortir, en l’espace de dix ans, près de 12 millions de personnes de la précarité énergétique. «Pour la bonne santé et le portefeuille des ménages, les passoires thermiques doivent disparaître au plus vite, expose Nicolas Nace. La transition énergétique est aussi un enjeu de justice pour tous. Les plus défavorisés ne doivent pas se sentir abandonnés. L’urgence climatique est indissociable de l’urgence sociale.»